Paris : L’artiste sénégalais Serigne Ibrahima Dieye expose sa « Jungle noire »
L’artiste natif de Dakar présente ses dernières œuvres à la galerie Cécile Fakhoury, dans le 8e arrondissement, jusqu’au 25 février. Une première en Europe. Serigne Ibrahima Dieye fait partie de la jeune génération de peintres de l’École Nationale des Arts de Dakar. Les personnages de ses peintures et installations sont des allégories visuelles de maux qui déchirent les sociétés contemporaines : ses mythes de succès et ses malédictions ; sa violence et sa vivacité créative ; ses histoires populaires et ses territoires oubliés.
Il observe son environnement et s’intéresse aux chaos qui l’entourent. Ainsi, de ses œuvres émergents des signes mystérieux et des animaux hybrides qui rencontrent, comme des fables, son quotidien urbain. À travers un geste plastique fort, l’artiste entend dénoncer cette violence systémique tout en essayant de faire réfléchir chacun à sa part de responsabilité et au rôle que l’on peut choisir de prendre – ou non – dans ce monde.
Des crânes d’animaux coiffant des corps humains, des têtes encagées, un geste précis qui s’affole pour styliser les contours et les masses des personnages… La puissance des œuvres de Serigne Ibrahima Dieye se dévoile à la galerie Cécile Fakhoury, à Paris, pour sa première exposition en Europe. Un monde brutal et coloré baptisé « Jungle noire » qui dit tout à la fois une fascination et une incompréhension de la violence inhérente à nos sociétés contemporaines, qu’elles soient ouest-africaines ou occidentales.

C’est une allusion à l’époque dans laquelle nous vivons et à la part sombre de l’humanité. Un espace désordonné et dangereux où les plus forts font la loi et écrasent les plus faibles. Le point de départ de “Jungle noire” fut le procès de Moussa Dadis Camara [l’ancien dictateur guinéen], jugé pour les massacres du stade 28 septembre à Conakry en 2009, où au moins 150 personnes ont été tuées et où au moins 100 femmes ont été violées. Un symbole de la violence gouvernementale et de l’impunité avec laquelle les dirigeants peuvent parfois agir », souligne l’artiste.

Serigne Ibrahima Dieye à Dakar, quartier Médina, en janvier 2023.
Animaux hybrides et figures mystérieuses
Né en 1988, Serigne Ibrahima Dieye fait partie de la jeune génération de peintres de l’Ecole nationale des arts de Dakar, dont il est sorti diplômé en 2013. Il développe une technique à la croisée du dessin, du collage et de la peinture, et un univers composé de scènes étranges, sorte de théâtre contemporain dont les animaux hybrides et figures mystérieuses sont les protagonistes.
« J’ai rencontré pour la première fois Serigne Ibahima Dieye à ma galerie de Dakar, lors de notre exposition d’ouverture en 2018. Il m’avait montré son travail, à l’époque uniquement au stylo à bille et sur papier. On y trouvait déjà quelques éléments centraux de ses œuvres : la prééminence de son geste en spirales pour former les corps de ses personnages, le bestiaire et le recours à la métaphore animale. J’ai continué à le suivre puis, en février 2020, sa première exposition personnelle a eu lieu dans ma galerie d’Abidjan », se souvient Cécile Fakhoury.
Ces fables picturales, entre fantaisie et drame, puisent leur profondeur dans l’histoire et l’actualité, et sont composées d’une galerie de personnages zoomorphes qui n’a cessé de s’enrichir avec le temps. Une incarnation d’un monde inventé mais également puisé dans le réel. Et l’ensemble est large : de l’horreur des guerres aux mesquineries interpersonnelles.
L’exposition « Les Fabulistes » à la galerie Le Manège de l’Institut français de Dakar en 2019, qui présentait les œuvres de Serigne Ibrahima Dieye et d’Aliou Diack, montrait déjà cette correspondance du travail de jeunes artistes sénégalais avec la forme littéraire du conte et de la fable. Pour créer ses œuvres, le Dakarois s’inspire de ces formes de récits millénaires aux géographies multiples, de la Perse ancienne à la Méditerranée du Moyen Age, de Jean de La Fontaine (1684-1695) à Birago Diop (1906-1989).
Allégories visuelles
A travers un geste plastique fort, Serigne Ibahima Dieye entend dénoncer cette violence systémique des sociétés contemporaines, tout en essayant de faire réfléchir chacun à sa part de responsabilité et au rôle que l’on peut choisir de jouer – ou non – dans ce monde. Il observe son environnement et s’intéresse aux chaos qui l’entourent, ses histoires populaires et ses territoires oubliés.
Dès 2020, il a choisi de ne plus utiliser de stylos à bille et ni de marqueurs trouvés dans le commerce, mais de les remplacer par de l’encre de Chine et de l’acrylique afin d’obtenir une plus grande qualité de rendu et de durabilité pour ses tableaux, tout en conservant sa même démarche esthétique : la présence du beau et du poétique dans la noirceur du monde », précise Cécile Fakhoury.
Inspiré notamment par l’Américain Jean-Michel Basquiat (1960-1988) et par le Sénégalais Soly Cissé (né en 1969) « pour la grande liberté dans leur art et l’énergie qui s’en dégage », Serigne Ibrahima Dieye, qui vit et travaille à Grand-Mbao, près de l’océan Atlantique entre Dakar et Rufisque, procède à « une mise en abîme radicale. Il ne s’agit plus simplement pour l’artiste de prétexter prendre les caractères sauvages des animaux pour dire la brutalité de l’homme. Au contraire, en choisissant des figures animales qui n’ont rien à voir avec la situation dépeinte, il met en lumière l’inextricable vanité humaine qui cherche par tous les moyens à se justifier », écrivait Delphine Lopez, directrice de la galerie dakaroise de Cécile Fakhoury, en 2020, à propos de l’exposition « Paraboles d’un règne sauvage ».
« Jungle noire », de Serigne Ibrahima Dieye à la galerie Cécile Fakhoury, 29 avenue Matignon, 75008 Paris. Jusqu’au 25 février. Du mardi au samedi, de 10 heures à 19 heures.
« Diffractions humaines », de Serigne Ibrahima Dieye au Suquet des artistes, 7 rue Saint-Dizier, 06400 Cannes. Jusqu’au 23 avril. Du mardi au dimanche, de 10 heures à 13 heures et de 14 heures à 18 heures.