Paris : Le procès de l’escroc Guillain Méjane, le « Madoff des aristos angevins », renvoyé en 2024

Une cinquantaine des clients de Guillain Méjane, qui promettait des « placements alternatifs à hauts rendements » avec un « capital garanti », l’accusent aujourd’hui d’escroquerie. Son procès devait débuter ce lundi 6 mars à Paris. Il a été renvoyé à janvier 2024.

Guillain Méjane, c’est d’abord un destin, la success story d’un gamin, né handicapé, privé des deux jambes et d’un bras. Dès l’enfance, à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), il apprend à “faire avec”. Ses prothèses l’aident à marcher, à nager, à monter à cheval ou sur une minimoto, sous le regard aimant de ses parents. Son père, Michel-Pierre, est un “communicant” pour des marques de luxe. Sa mère, Anne, est issue d’une longue lignée de l’aristocratie angevine; elle a le titre de comtesse.

Une cinquantaine des clients de Guillain Méjane constituent aujourd’hui les parties civiles de son procès, qui débute au tribunal de Paris lundi 6 mars. Celui qui se présentait comme un expert en trading est soupçonné d’escroquerie et de blanchiment de fraude fiscale. Au lieu de plus-values mirobolantes, il laisse une ardoise de près de 16 millions d’euros, dilapidée sur les marchés financiers et en dépenses personnelles. Devant la cour, cet as du boniment n’aura pas à expliquer les mécanismes de la spéculation à haut rendement, mais ceux de la « pyramide de Ponzi », ce modèle d’arnaque qui l’a fait passer du sobriquet de « petit génie de la finance » à celui du « Madoff de Maine-et-Loire ».

Leur fils commence ses études à Boulogne et les poursuit à Angers, où il retrouve, en 1998, un ami d’enfance, Gaëtan d’Oysonville. Leurs parents se fréquentent depuis toujours. Voici bientôt le jeune Guillain plongé dans la haute société locale, un univers de rallyes et de noms à particule où son copain a déjà ses entrées. “Un de mes clients m’a confié le plus sérieusement du monde qu’il était le descendant d’Hugues Capet”, assure Me Paul Le Fèvre, avocat de plusieurs investisseurs lésés.

Premier incident de parcours en 2002

Une fois le bac en poche, les deux inséparables suivent des chemins différents. Pour Gaëtan, le blond trapu, ce sera Arts et Métiers, la voie royale des ingénieurs. Pour Guillain, le brun au sourire enjôleur, une école de management à Grenoble. Il est dynamique, sympathique en diable, courageux aussi. Il le prouve en 2006 devant les caméras de TF1 en gravissant le Kilimandjaro avec neuf autres handicapés. L’émission le présente comme un homme “féru de poésie et de philosophie” autant que de “belles chemises italiennes”. A l’écran, c’est un risque-tout. Il faut le voir défier la jungle, arpenter les sentiers rocailleux.

Guillain Méjane

Né privé de jambes et d’un bras, Guillain Méjane est un sportif accompli.

“Je n’ai jamais eu aussi mal de toute ma vie”, souffle-t-il. Sa mère frémit. “Moi, ce qui m’inquiète, c’est qu’il aille au-delà de ce qu’il peut faire”, confie-t-elle à l’époque. Sans doute se souvient-elle alors de ce fameux 25 juin 2002… Ce matin-là, à Paris, Guillain est interpellé chez ses parents. Passionné d’informatique, il gère un forum baptisé Sufficient, sur lequel il partage une technique d’encodage de cartes bleues.

Devant les magistrats, il invoque une simple expérimentation qui aurait mal tourné. A l’entendre, son site aurait été “piraté”. La justice en doute: elle le condamne à huit mois d’emprisonnement avec sursis. Un incident de parcours qui ne l’empêche pas d’être enrôlé chez Microsoft en 2008. Il y gravit les échelons au point d’être repéré et interviewé par le magazine Challenges.

Sur son CV en ligne, il se flatte d’avoir quitté Microsoft en 2011 sur une note de “30% de croissance, dans un secteur à 11%”. Une précision, quand même: il en a été licencié pour faute grave, à la suite, semble-t-il, d’une modification inexpliquée d’un portefeuille clients. Séduisant, cultivé, maniant le second degré avec gourmandise, Guillain a des copains passionnés comme lui de vieux jeux vidéo, une quinzaine de geeks aux manières de potaches qui filent une fois l’an à Leucate, station balnéaire du golfe du Lion.

A Paris, Guillain les invite dans ce qu’il surnomme la “Villa Méjane”, un petit appartement cossu de la Villa d’Alésia (Paris XIVe) où il vit un temps avec son frère. Cette ruelle de maisons chics est un îlot de quiétude, où les peintres Matisse et Leroux avaient autrefois leurs ateliers.

Guillain s’occupe alors d’un site baptisé JeNeSuis, le successeur de Sufficient. Son pseudo: EcstazY. Le forum présente notamment des photos de la bande de Leucate. Un absent sur ces clichés: Gaëtan d’Oysonville, le copain angevin. Moins imprévisible que son comparse, il veut faire carrière dans le négoce du pétrole et vit pendant trois ans (2008- 2011) en Angola, puis une année au Brésil. Malgré la distance, le duo se ménage des moments de complicité. En 2010, à l’occasion d’un voyage au Pérou, Guillain s’épanche. Son rêve? Changer de vie, devenir trader.

Il se lance quelques mois plus tard. Et annonce bientôt des plus-values de 20%. Gaëtan, bluffé, lui confie 4000¤. Déception: le 29 avril 2011, son ami affirme que sa boîte mail a été “piratée” et que le hacker a vidé le compte. L’air contrit, il assure avoir porté plainte au commissariat. Une plainte dont les enquêteurs, à ce jour, n’ont pas retrouvé trace.

Une partie de l’aristocratie angevine est séduite

En août de la même année, Guillain Méjane crée sa propre compagnie, NFT Investment, dépeinte comme une “société de gestion spécialisée dans les placements alternatifs à haut rendement, basée à Hongkong”. Le trader s’active sur le Forex, le périlleux marché des devises. Sur ses plaquettes commerciales, NFT revendique une “complète transparence”. Surtout, les fonds sont garantis à 100% et remboursables à la demande sous vingt et un jours. L’ensemble est d’autant plus alléchant qu’une banque de renom héberge les comptes: la HSBC Hongkong.

Gaëtan d’Oysonville, prêt à oublier l’épisode précédent, acquiert 10% du capital de NFT pour 8700 euros, puis s’implique encore davantage en 2013. Licencié de l’entreprise qui l’emploie alors, il rejoint son copain. Sa mission: dénicher des clients. Et c’est ainsi, de soirées mondaines en dîners de famille, que le “bon plan” financier du duo séduit une partie de l’aristocratie angevine.

“Les investisseurs sont des amis d’enfance de Guillain Méjane et de Gaëtan d’Oysonville, des parents d’amis, ou des amis de parents”, résume Me Franck Normandin, qui défend plusieurs d’entre eux. Un microcosme que le trader handicapé convie à son mariage, dans le Piémont italien, en août 2013. Voitures de luxe, feux d’artifice… Rien n’est trop beau pour le jeune couple. “C’était clairement tape-à-l’oeil, dans la plus grosse villa du village d’Orta, avec une vue magnifique sur le lac”, raconte un invité.

Par la suite, Guillain Méjane et son épouse s’établissent à Singapour, où le champion de NFT affiche une réussite de “winner”. Dans ses courriels aux clients, il se veut patriote et cajoleur: “Chers amis, […] nos petits coeurs français sont attachés à notre pays et aux amis que nous y avons”, écrit-il avant d’incruster, au milieu du texte, des photos de son appartement, ou de son bateau, un 8-mètres avec cabine baptisé le Vanita Dorata en référence à celui de Corto Maltese.

Entre deux graphiques financiers, il inonde les réseaux sociaux de clichés de son Aston Martin DB9, puis de sa Ferrari Dino jaune – le modèle de Danny Wilde dans la série télévisée Amicalement vôtre. De fait, il y a du Danny en lui, extraverti, un rien hâbleur. Et du Lord Sinclair chez Gaëtan, plus réservé. Analyse de Me Eric Morain, conseil de clients floués: “En créant une boîte à fantasmes, les signes extérieurs de réussite de Guillain Méjane ont participé de l’abus de confiance.”

“Un plan d’ami, de famille”

“La meilleure garantie entre toutes, c’est que c’était un plan d’ami, de famille”, ajoute une jeune femme qui estime avoir été bernée. En mai 2014, elle et son mari viennent de vendre leur appartement parisien et disposent d’un pécule à placer. A leurs yeux, NFT ne présente aucun risque: ils connaissent un investisseur ravi d’avoir fait ce choix. Ils commencent par placer 50000€ “pour tester”.

Rapidement, un élément les rassure: des bulletins indiquant la plus-value hebdomadaire. Des gains modestes -0,4%, 0,08%…- mais susceptibles, à terme, de gonfler la cagnotte. Le couple décide donc d’investir 150000¤ supplémentaires. Surprise: l’argent lui revient. HSBC refuse le paiement. Méjane et d’Oysonville s’excusent en invoquant un souci d’ordre logistique. En réalité, NFT est en crise. Les deux associés se sont mis en tête de créer un autre fonds, plus ambitieux, à destination des professionnels et des grosses fortunes, avec un ticket d’entrée de 500000 euros, mais la banque a bloqué le compte.

Alors que son ami réclame des explications, Guillain lui paraît fuyant. La méfiance s’instaure entre eux, comme en témoignent des échanges de SMS, dont L’Express a eu connaissance. Gaëtan s’impatiente: “As-tu un problème avec moi? écrit-il. Il me semble qu’en tant que partenaire je devrais avoir accès aux chiffres.” La réponse de Guillain est cinglante: “Ce qui m’agace le plus, c’est d’avoir l’impression de ne pas avoir à mes côtés le Napoléon de la vision, le stratège, mais plutôt le consultant, qui fait des tableaux et refait tout dix fois.”

En septembre 2014, il finit par lâcher que le compte a été… “piraté”! Mais il affirme aussi savoir comment le renflouer: en continuant à lever des fonds, à réaliser des plus-values et se refaire une santé, sans avertir les… clients! Selon l’enquête en cours, il n’aurait pas hésité à inciter de nouveaux investisseurs à virer leurs économies sur son compte personnel.

Gaëtan parvient finalement à en savoir davantage sur l’état des finances : le solde des comptes de trading, qui était d’un peu plus de 6 millions d’euros en septembre 2013, n’est plus que de 1 centime le 20 octobre 2014! Dans la foulée, il envoie aux clients un courriel où il charge Méjane, parlant d'”escroquerie”, de “système de Ponzi” et de “malversations sans retenue”.

Deux procédures judiciaires en cours: l’une civile, l’autre pénale

L’un des destinataires du courriel, entrepreneur dans la région parisienne, a perdu dans l’affaire un héritage d’un peu moins de 100.000 euros. Avec d’autres victimes, il crée une association. Deux procédures judiciaires sont diligentées. L’une, civile, concerne la responsabilité de la banque. D’après Me Nicolas Lecoq-Vallon, chargé de ce versant du dossier, celle-ci a été “un vecteur de la fraude en acceptant une activité d’investissement sans les agréments nécessaires”. Sollicitée par L’Express, HSBC refuse de réagir à ce stade de l’enquête.

L’autre procédure est pénale. En lançant une commission rogatoire internationale, les juges d’instruction Claire Thépaut et Charlotte Bilger espèrent remonter les flux d’argent à l’étranger, évaluer les fonds engloutis sur le Forex et déceler d’éventuels détournements.

Replié dans son fief angevin, Méjane charge son ex-associé

En attendant, les deux amis d’hier s’affrontent à distance. Sorti libre de garde à vue en juin dernier, d’Oysonville vit en Asie et attend de nouvelles convocations, devant des magistrates cette fois. On le dit très affecté par le scandale. Lui-même y a englouti beaucoup d’argent et fait partie des plaignants. Plusieurs de ses proches ont également perdu gros: plus de 3 millions d’euros pour sa seule grand-mère.

Méjane, lui, s’est replié avec femme et enfant dans son fief angevin, non loin du domaine des d’Oysonville. Fini le temps des postures bling-bling. Il s’occupe de son site (www.nft-le-dossier.com), sortant peu de ce qu’il appelle son “paradis”, une bâtisse en pierre grise dont il se murmure qu’elle a peut-être été payée par l’argent de NFT.

Rejetant en bloc les accusations, il charge son ex-associé et soutient que d’autres comptes existent au nom de d’Oysonville. A l’entendre, pas de doute, c’est bien de “trahison” qu’il s’agit. Son vieux copain, coupable d’après lui de l’avoir utilisé comme “fusible”, aurait même saccagé un “plan de sauvetage tout à fait réalisable”. A ce jour, pourtant, Gaëtan d’Oysonville, qui n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien, ne fait l’objet d’aucune poursuite.

Ouest-France