Paris : L’incendie de Notre-Dame a révélé une utilisation innovante du fer dès 1160, une technique extraordinaire pour l’époque

La cathédrale Notre-Dame de Paris est le premier édifice gothique à avoir employé des agrafes de fer dans l’ensemble de sa structure. Une étude archéologique française menée sur le chantier de restauration et publiée mercredi 15 mars permet d’en savoir davantage sur les méthodes de sa construction entamée en 1160.

L’analyse d’agrafes en fer mises au jour après l’incendie de la cathédrale parisienne montre que les techniques de construction mises en œuvre dès 1160 étaient particulièrement innovantes. Notre-Dame est la première cathédrale gothique à avoir utilisé ce genre de techniques de consolidation.

► Que nous apprend cette étude archéologique française sur Notre-Dame de Paris ?

« Notre-Dame de Paris, la première Dame de fer ? » Tel est le titre accrocheur de l’article publié mercredi 15 mars dans la revue scientifique américaine en ligne PLOS One par une équipe d’archéologues français à pied d’œuvre sur le chantier de reconstruction de la cathédrale. Cette étude livre les premiers résultats de recherches sur la présence de métal dans la structure de l’édifice parisien.

Du fer dans Notre-Dame, la belle affaire ! L’utilisation d’agrafes en fer est loin d’être nouvelle, on en trouve même dans les temples grecs ou au Colisée de Rome. On sait aussi, depuis le XIXe siècle, que la cathédrale n’a pas que du plomb dans la toiture. Viollet-le-Duc avait relevé la présence d’agrafes en fer anciennes sur les corniches, mais elles s’avèrent être plus nombreuses qu’il ne le pensait. Le chantier a permis d’en découvrir dans des endroits jusqu’ici inaccessibles, mis au jour après l’incendie.

« Du fer, il n’y en a pas partout, mais son utilisation est massive dans plusieurs parties de l’édifice, les corniches, les sols des tribunes (au-dessus du déambulatoire, à 10 mètres de hauteur) », détaille Maxime L’Héritier, premier auteur de cette étude et spécialiste en archéo-métallurgie l’université Paris 8.

L’emploi de ces agrafes métalliques dès les premières phases du chantier, entamé en 1160, est certifié par des datations au carbone 14. C’est la première fois que du fer est employé de façon massive dans un édifice gothique ». Le même procédé est utilisé dans la nef quelques dizaines d’années plus tard et sera répliqué ensuite au XIIIe siècle, dans la construction des cathédrales de Soissons, puis de Chartres et Bourges.

► Quelle était la fonction de ces agrafes ?

L’étude livre à ce sujet des hypothèses qui demandent à être confirmées. Lors de l’Antiquité, ces pièces métalliques servaient à solidariser les assises de gros blocs de pierre horizontaux ou verticaux à la base des édifices.

À Notre-Dame, la vision des maçons semble avoir été plus sophistiquée. « Leur conception de la construction est plus dynamique, ces agrafes devant sans doute servir à accompagner les forces en tension dans une maçonnerie, la manière dont celle-ci peut être amenée à bouger », explique Maxime L’Héritier.

Ces agrafes ont-elles servi à sécuriser le chantier ou ont-elles eu un rôle plus définitif dans la structure de la cathédrale ? « On essaye de se mettre dans la tête des maçons de l’époque en imaginant leurs craintes de voir s’écrouler les grands arcs avant que les étages supérieurs n’aient été construits, les agrafes venant renforcer le rang de pierres de ces arcs. Mais, une fois les étages supérieurs construits, les poussées latérales sont amoindries par la force des poussées verticales, donc les agrafes ne jouent peut-être plus ce rôle dans la cohésion de la structure. »

Le coordonnateur du groupe de travail « Métal » sur le chantier de Notre-Dame ajoute que des modélisations de morceaux de structures avec ou sans agrafes sont en cours pour voir comment le monument tient. « Aujourd’hui encore, on ne sait pas très bien comment ces grandes machines gothiques fonctionnent. »

► Ces agrafes de fer ont-elles été abîmées par l’incendie et vont-elles être réemployées ?

« L’incendie en a modifié certaines, là où ça a le plus chauffé », pointe Maxime L’Héritier, mais la plupart ont bien résisté. La température a certes atteint 1 000 degrés dans la cathédrale, mais le fer fond à 1 500. Ces agrafes vont donc sans doute être réemployées « à 90 % », car il y a un « symbole à reconstruire avec les pièces d’origine ».

Les conclusions de l’analyse métallographique complète et de la datation radiocarbone – rendue possible grâce à de nouvelles méthodologies développées par les scientifiques – ont été publiées dans Plos One le 15 mars. Les chercheurs se sont ainsi rendu compte que les agrafes les plus anciennes dataient des années 1160, soit du début du chantier de construction. Dans ce Paris médiéval, c’était le bâtiment le plus haut jamais construit.

Une cathédrale à l’allure “légère et élégante”

Interrogé par l’hebdomadaire britannique, Robert Bork, de l’université de l’Iowa, qui n’a pas participé à l’étude, s’émerveille :

On comprend que [les bâtisseurs] mettaient en œuvre des techniques comparables à celles de l’Empire State Building vers 1930 ou du Burj Khalifa à Dubaï. Des techniques vraiment extraordinaires pour l’époque.”

L’utilisation du fer a permis d’alléger la structure et de donner ainsi son aspect “léger et élégant” à Notre-Dame, pour reprendre les termes de Jennifer Feltman, spécialiste de l’art médiéval à l’université de l’Alabama, citée par le magazine, qui n’a pas non plus participé aux travaux.

Le New Scientist précise qu’“une analyse de la résistance actuelle des agrafes en fer donnera aussi des indications aux architectes d’aujourd’hui pour la réutilisation de celles qui ne sont pas endommagées, afin de redonner à Notre-Dame sa gloire d’antan”. Maxime L’Héritier, chercheur en histoire médiévale à l’université Paris-8 et premier auteur de l’étude, conclut : “Ce n’est plus le temps du diagnostic mais celui de la restauration.”

La Croix