Paris : Marc de Cacqueray devant la justice, le procès d’un Zouave qui rêve d’unifier “les fafs”
Marc de Cacqueray-Valmenier, 24 ans, leader de l’ultradroite parisienne, est soupçonné d’avoir organisé une ratonnade contre les supporters marocains le soir de la demi-finale France-Maroc, en décembre 2022. Il sera jugé ce vendredi 8 septembre au tribunal correctionnel de Paris. Portrait d’un adepte du coup de poing devenu un meneur dans le milieu.
Ce 14 décembre 2022, soir de demi-finale France-Maroc, les états-majors de police sont en alerte. Ils craignent des exactions de la part l’ultradroite. Des appels à la violence circulent. Il est près de 22 heures lorsque des policiers en planque aperçoivent des dizaines de militants d’extrême droite sortir d’un bar du 17e arrondissement de Paris, cache-cous remontés sur le nez, prêts à en découdre. Trois unités interviennent. À la vue des fonctionnaires, les nervis pressent le pas. Aux abords du métro, trente-huit personnes sont arrêtés, dont 15 « fichés S ». Et parmi eux, une icône de cette mouvance d’extrême droite radicale : Marc de Cacqueray-Valmenier.

Ancien chef des Zouaves, groupuscule dissous en conseil des ministres en 2022 Marc de Cacqueray, 24 ans, est soupçonné d’avoir organisé et prémédité une ratonnade contre des supporters marocains sur les Champs-Élysées. Il figure parmi les sept prévenus qui seront jugés en correctionnelle à Paris, ce vendredi 8 septembre, pour « participation à groupement en vue de commettre des violences » et « détention sans autorisation d’une ou plusieurs armes blanches ou incapacitantes ». Ses avocats, contactés, n’ont pas répondu à nos sollicitations.
Une ascension fulgurante
Le jeune homme s’est imposé en quelques années comme le leader de l’ultradroite parisienne, renouant avec l’action coup de poing. Ses nombreux démêlés judiciaires – il avait interdiction de paraître dans la capitale – ne l’ont pas empêché, deux jours avant le match, de donner rendez-vous, sur une chaîne Telegram secrète et sous son pseudonyme « Marc Hassin », à ses fidèles à la station de métro Pont Cardinet, le soir de la demi-finale, à 20 heures. « On sera nombreux, donc on s’étalera dans plusieurs bars autour de la place », prévient-il dans un message révélé par Libération, auquel Marianne a également eu accès. Avant de donner le ton : « Mobilisation générale pour défendre notre drapeau face aux hordes de marocains. »
Ses camarades ayant répondu à l’appel, âgés de 17 à 36 ans, venaient de Rouen, de Rennes, de toute la région parisienne. Dans leurs poches, les policiers découvrent plusieurs bombes lacrymogène, une matraque télescopique, un protège-tibia, des cagoules, des gants coqués… Dans un sac à dos qui avait été caché sous un pot de fleurs par Marc de Cacqueray pendant leur fuite, les fonctionnaires mettent aussi la main sur des poings américains et des bâtons télescopiques.
Mais pendant sa garde à vue, Cacqueray feint de n’avoir jamais cherché l’affrontement. « Je ne suis pas en capacité physique de commettre des violences ou des dégradations, assure-t-il en évoquant une opération qu’il aurait subie au genou. Il y a deux semaines j’étais encore en béquilles. » Au brigadier qui l’interroge, il dira même n’accorder aucune importance aux dégradations commises par des supporters marocains lors des quarts de finale.
Dans sa chambre du pavillon à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine) où il habite avec sa famille, les enquêteurs découvrent tout l’attirail du militant néofasciste : poing américain, douille de 9mm, ouvrages de littérature d’extrême droite, dont Dictateur et roi du théoricien antisémite Charles Maurras, ainsi qu’une collection d’écussons. Dont un d’Azov, ce bataillon controversé de l’armée ukrainienne fondé par des néonazis.
« J’aime bien l’univers et l’esthétique totalitaire »
D’autres perquisition sont diligentées chez ses complices. Le studio de Paul-Alexis Husak, un des lieutenants de Cacqueray, révèle son obsession pour le IIIe Reich : une biographie de Heinrich Himmler, une croix de fer allemande… « Je ne cache pas ma sympathie pour l’extrême droite », claironne auprès des policiers ce jeune agent immobilier. « J’aime bien l’univers et l’esthétique totalitaire. » Matraque, couteau commando, poing américain surmonté d’une lame… Son goût pour la bagarre ne fait pas mystère non plus. Chez Léo Rivière-Prost, un autre prévenu, trois brassards avec une croix gammée ainsi que des drapeaux nazis sont saisis. Hitler est pour lui un homme « iconique », « parti de rien » mais qui a « parvenu à marquer l’Histoire », affirmera-t-il.
Marc de Cacqueray, lui, marquera vraisemblablement l’histoire de l’extrême droite parisienne. Son profil d’étudiant brillant en classe préparatoire littéraire (hypokhâgne et khâgne), titulaire depuis octobre 2020 d’un master en management dans une école de commerce, dénote avec son goût de la cogne. Sur LinkedIn, où il pose en cravate, il se décrit comme « passionné par les ressources humaines », un domaine dans lequel il affiche ses expériences, chez la marque Andros ou les supermachés Carrefour.
Derrière ce parcours en apparence respectable, Marc de Cacqueray chemine très tôt dans les franges les plus radicales de l’extrême droite. Dès l’adolescence, il fréquente les Jeunesses nationalistes, présidées par Alexandre Gabriac, avant de rejoindre les monarchistes de l’Action française (AF). « À 17 ans, il était chef de la branche lycéenne de l’AF en Ile-de-France. Il était déjà très charismatique. Son nom de famille, rattaché à la noblesse française, ainsi que sa pratique assidue des arts martiaux, lui donnaient une grande crédibilité. Et il faisait pas mal plus vieux que son âge », relève Emmanuel Casajus, sociologue, qui a infiltré ce groupe royaliste en 2015-2016 et a assisté à l’ascension de Cacqueray. « Il a vite monté les échelons. Il était très indépendant et forte tête. Il poussait les membres de l’AF à se rapprocher du GUD. » GUD (Groupe union défense) : trois lettres qui désignent un syndicat étudiant d’extrême droite adepte du coup de poing dans la rue, rival de l’Action française, école militante qui cultive une veine plus intello.
Alors que l’extrême droite est minée par des guerres picrocholines entre identitaires, royalistes et nationaux-révolutionnaires, Cacqueray, lui, rêve de réunir tous ceux qui ont en commun une fascination pour le fascisme, répétant à l’envi : « Les natios, c’est une grande famille. » Mais, perçu à l’AF comme un « lobbyste du GUD », celui qui rêve de fédérer est sommé de choisir. Il quittera l’organisation monarchiste fin 2016. À Reims, en parallèle de ses études à Neoma Business School, il fraye avec les hooligans néonazis de MesOs et se fait un nom dans les combats de MMA.
« Inter-faf »
Mais son projet d’une « inter-faf » finit par se concrétiser en 2018. Avec quelques camarades, il fonde les Zouaves Paris. Héritière du GUD, cette structure séduit quelques dizaines d’identitaires et d’anciens de l’AF. Sous sa tutelle, les Zouaves multiplient rixes et descentes à travers Paris. Visant des supporters algériens lors de la coupe du monde de football en 2018. Des militants du NPA lors d’un défilé de gilets jaunes en 2019. Puis le bar « le Saint-Sauveur », QG des antifascistes parisiens, en 2020. Vaguement remarqué pour avoir voulu guerroyer au Haut-Karabagh la même année, Cacqueray prend la pose sur Instagram, encagoulé, armé, près des combats. De quoi forger sa légende dans le milieu. Forçant l’admiration. Antoine L., qui doit être jugé à ses côtés ce 8 septembre, le décrit auprès des policiers comme un « homme intelligent » comme « une personne qui vit en accord avec ses valeurs », y voyant « une forme de noblesse ».
Petit-fils d’un héros de la guerre d’Indochine, de Cacqueray capitalise sur l’aura familiale. Son père, Norbert de Cacqueray, un ancien de l’Action française, militaire de carrière, a été l’un des 20 généraux à signer la tribune parue en 2019 dans Valeurs actuelles, demandant au chef de l’État de défendre la civilisation française contre « la horde des banlieues ». « Mais son coté bagarreur de rue, son expérience de crypto-mercenaire au Haut-Karabagh, cela fait petit joueur à côté des exploits militaires de la famille », analyse Emmanuel Casajus. « C’est le mauvais garçon de la famille. Il est en rupture avec elle. Son père voyait le GUD comme des crétins avec des blousons en cuir, des sortes de punks nazis. Pour Marc, au contraire, les temps avaient changé. »
Ses actions l’exposent médiatiquement. Lors du meeting du candidat Eric Zemmour, en décembre 2021, à Villepinte (Seine-Saint-Denis), on l’aperçoit sur une vidéo, cache-cou noir remonté jusqu’à nez, asséner des coups à une militante de SOS-Racisme. Ce qui lui vaut une mise en examen pour « violences volontaires » et un procès en 2024.
Expert en défilades
Rôdé aux tribunaux, devant les juges, Cacqueray devient expert en défilades. Les Zouaves ? Simple « groupe informel », claironne-t-il, au moment d’être jugé pour l’agression, à coups de manches de pioches, de clients du Saint-Sauveur en juin 2020. Chef, lui ? Que nenni, juste un sympathisant, et encore, seulement « entre 2017 et 2020 ». À la barre, il jure n’avoir été au courant de rien, quand bien même son ADN a été retrouvé sur un marteau brise-vitre retrouvé à quelques mètres du bar. Un « objet incongru » qu’il aurait seulement « touché » à une soirée, balaye-t-il. Pour ces faits, il est définitivement condamné en février 2023, à quatre mois de prison avec sursis.
Malgré ses dénégations, ses échanges sur Telegram et Instagram laissent peu de doutes sur son statut de leader. C’est lui qui gère les recrutements. Lui qui félicite ses troupes après l’attaque du bar : « Merci d’avoir été présent pour faire ce qu’aucun faf n’a été déter de faire en 15 piges, depuis que le Saint-Sauveur est ouvert ». Qui fanfaronne : « On a montré que notre nom et notre réputation étaient bien mérités. On a eu la preuve une fois de plus qu’avec une organisation et une discipline en béton, on pouvait obtenir de sacrés résultats, même en sous-nombre. Tout le monde a porté ses couilles. » C’est lui qui est destinataire d’un message d’excuses de la part d’un jeune militant qui n’est pas parvenu à échapper à la police : « Y aura plus d’erreur, chef ».