Pays-Bas : Le premier ministre Mark Rutte veut alerter l’UE sur l’immigration

Mark Rutte prend les devants, à deux semaines d’un Conseil européen consacré à l’immigration et à la réponse de l’UE aux subventions américaines. En déplacement mardi à Bruxelles pour un déjeuner avec son homologue belge Alexander De Croo et un rendez-vous avec la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, le premier ministre néerlandais a aussi pris le temps de voir quelques journalistes de la presse européenne.

Objectif: faire connaître les positions qu’il défendra les 9 et 10 février lors de la réunion des Vingt-Sept. D’abord sur l’immigration, un sujet qui a été inscrit à l’ordre du jour à sa demande, alors que, souligne-t-il, «nous avons un peu oublié ce problème» avec la pandémie et que «nous nous réveillons maintenant régulièrement à nouveau avec des chiffres élevés» d’arrivées.

Quelque 50.000 demandeurs d’asile ont rejoint les Pays-Bas en 2022 et, selon les prévisions, 50.000 autres sont attendus en 2023. Ce pays est confronté à une grave crise de l’accueil, au point qu’il a été contraint de loger des demandeurs d’asile dans deux bateaux de croisière affrétés pour cela l’été dernier. Le gouvernement néerlandais a également imposé des restrictions au regroupement familial, avant de faire machine arrière sur le sujet.”

À l’instar de l’Autriche, les Pays-Bas ont maintenant le sentiment d’«être un pays en première ligne», affirme Mark Rutte. «Ce que nous devons faire, c’est maintenir le soutien pour avoir un système d’asile décent et humain mais, en même temps, veiller à ce qu’il y ait des limites à ce que les pays peuvent faire en termes d’intégration d’autant de personnes», assure-t-il encore.

Pour ce faire, le premier ministre néerlandais appelle à la mise œuvre d’«un système de Dublin qui fonctionne» et soit susceptible de «préserver l’espace Schengen», au renforcement des contrôles aux frontières réalisés par Frontex, grâce notamment à «des accords avec des pays comme l’Algérie, la Tunisie, le Maroc et d’autres», à une réflexion sur la manière «dont on pourrait aligner les politiques de visas entre l’UE et les pays des Balkans» et à un travail collectif sur les retours. Lucide, le premier ministre néerlandais admet que le traitement de ce sujet – qui fracture l’Europe depuis 2015 -, prendra du temps. «Cela ne sera pas résolu en un seul Conseil européen. Cela demandera une approche étape par étape. Ce sujet reviendra en mars et après», assure-t-il, veillant à ne froisser aucun partenaire.

Lignes rouges

Mark Rutte, chef de file des pays dit «frugaux», est aussi revenu sur l’autre dossier du prochain sommet, à savoir la riposte des Européens au plan massif de 369 milliards de dollars de subventions mis en place par Washington pour doper les investissements verts aux États-Unis. Une démarche qui risque de pénaliser la compétitivité européenne et de contribuer à la désindustrialisation du continent. Le dirigeant néerlandais se félicite de voir les Américains se remettre dans les rails de l’accord de Paris, s’étonnant au passage des réactions de certains Européens, qui appelaient de leurs vœux ce changement de cap et veulent maintenant qu’il se fasse à leur manière.

Quant à la réponse en cours d’élaboration à Bruxelles, et qui doit être présentée le 1er février par la Commission européenne, il énonce d’ores et déjà ses lignes rouges.

L’assouplissement du régime des aides d’État qui permettraient aux États membres de verser davantage de subventions à leurs entreprises? Il dit oui du bout des lèvres. «Je peux accepter certains changements tant qu’ils sont limités, et il faudra me convaincre que ces changements seront utiles», explique-t-il, pointant les dégâts qu’ils pourraient causer sur le marché intérieur, «le plus grand succès de l’UE depuis 1957».

Quant à un nouvel emprunt commun, il marque sa désapprobation. «Ni pour des subventions, ni pour des prêts», souligne-t-il, répétant qu’il y a suffisamment d’argent disponible au niveau européen, mais aussi dans les États membres, à condition qu’ils fassent les réformes nécessaires.

Bref, Mark Rutte est prêt à livrer le même combat qu’en 2020 sur le plan de relance européen. Et pas question pour lui de laisser dire qu’il avait alors perdu cette bataille, au terme d’un interminable Conseil européen. «Pas du tout. J’ai imposé que les subventions aux États membres soient assorties de réformes», répond-il avec fermeté.

Alors que l’Allemagne est pressée par nombre d’États membres – la Pologne en tête – de donner son feu vert au transfert de chars Leopard à l’Ukraine, Mark Rutte juge cette pression inutile. Quant à savoir si les 18 chars Leopard que les Pays-Bas louent à l’Allemagne pourraient également être rachetés puis cédés à l’Ukraine, il affirme que la question n’est pas discutée. Mark Rutte tient toutefois à rappeler que les armes délivrées par La Haye à l’Ukraine ont représenté 1 milliard d’euros en 2022 et grimperont à 2,5 milliards d’euros l’en prochain. «L’Ukraine doit gagner et la Russie doit perdre», martèle-t-il.

Toutefois, il ne s’imagine pas succéder à Jens Stoltenberg à la tête de l’Otan et balaie les rumeurs sur cette éventualité. «Non, je ne veux pas. J’ai d’autres ambitions. Après la fonction que j’occupe au sein du gouvernement néerlandais, je vais complètement quitter la politique et faire quelque chose de totalement différent. Et je ne veux pas aller à la Commission ou au Conseil ni à l’Otan.»

Le Figaro