Pour éponger les dettes financière et écologique, Bercy veut essorer… les retraités et les chômeurs

Pour ramener le déficit public à 4,4 % l’an prochain (2,7 % en 2027), avec une croissance 2024 revue à la baisse de 1,6 à 1,4 %, Bercy mise d’abord sur la création d’emplois, les gains dégagés par les réformes des retraites et de l’assurance chômage, et la levée du bouclier énergétique. Avant la présentation du projet de loi de finances 2024 le 27 septembre, les ministres de l’Économie et du Budget, Bruno Le Maire et Thomas Cazenave, en ont dévoilé le cadrage ce jeudi 14 septembre.

Les débats parlementaires sur la loi de programmation des finances publiques 2024-2027 (rejetée en première lecture), et la bataille du budget 2024 commenceront le 27 septembre à l’Assemblée nationale. Pourtant l’exécutif, bien que divisé sur moult sujets, met déjà sous pression ses oppositions, à droite surtout. Ainsi, jeudi 14 septembre, alors que la Banque centrale européenne (BCE) venait de remonter, pour la dixième fois, d’un quart de point son taux directeur de référence – lequel atteint désormais 4 % –, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire enjoignait-il, avec un certain agacement, les députés LR, le groupe LIOT de soutenir cette trajectoire pluriannuelle (non contraignante) des finances publiques tricolore, réclamée par l’Union Européenne. « Tous les États membres de la zone euro en ont déjà adopté une, il est impensable que la France n’en dispose pas ! Il en va de sa crédibilité. » a-t-il tonné.

De la crédibilité de la France… et accessoirement du portefeuille de Bruno Le Maire ! D’abord parce que l’UE a accordé à la France, dans le cadre de son plan de relance, 40 milliards d’euros de crédits. D’autre part, à horizon 2027, Bercy estime que la dette tricolore lui coûtera déjà 74,4 milliards d’euros, contre 48,1 milliards en 2024. Or toute perte de confiance des marchés en renchérirait le service.

Qui va payer les économies, après le quoi qu’il en coûte ?

Ce décor planté, qui va payer la chasse aux économies lancée par Bercy, afin de ramener le déficit public à 4,4 % en 2024 (2,7 % en 2027) ? Épaulé par Thomas Cazenave, nouveau ministre du budget, Le Maire a reconnu qu’il s’agirait d’abord des citoyens concernés par ses « politiques structurelles » : comprendre les séniors percutés par la dernière réforme des retraites qui travailleront plus longtemps. À horizon 2027, cette dernière est censée rapporter 12,7 milliards d’euros au pays (notamment en boostant son PIB de +0,7 point de PIB et en créant 200 000 emplois.) Les chômeurs, moins nombreux, mais aussi moins bien indemnisés, seront aussi mis à contribution : 13,5 milliards d’économies sont prévus à horizon 2027 sur l’assurance chômage. Ça fait beaucoup !

Une sortie du bouclier énergétique à suivre de près

Troisième source majeure d’économie en 2024 : la fin du bouclier énergétique qui a encore coûté 10 milliards d’euros en 2023. Car dès l’an prochain, l’exécutif veut financer la transition écologique à laquelle il réserve 7 milliards d’euros suplémentaires – on attendra tout de même de disposer du budget vert 2024 du gouvernement pour savoir avec précision qui paie quoi ! –, en taxant davantage les énergies « brunes ».

Dans ce branle-bas de combat, promis-juré, Bercy ne mettra plus le doigt dans le distributeur, pour contrer la flambée des prix carburants à la pompe, même si ces derniers ont de grandes chances de s’apprécier sur fond de tensions géopolitiques, et de baisse de production mondiale. Bercy va même réduire très progressivement les avantages fiscaux sur le gasoil non routier, des agriculteurs et des entreprises de BTP, tout en les aidant à s’électrifier.

Bruno Le Maire surveillera également les éventuels « superprofits » de Total dans le raffinage (on connaît la chanson).Combustible importé, le prix du gaz resterait étal pour le consommateur au niveau actuel. Cependant, si d’aventure son cours sur les marché baissait, les particuliers ne profiteraient pas cette ristourne : elle serait annulée par un relèvement de taxes (il faudra surveiller !). In fine, seul le prix de l’électricité largement décarbonée en France, grâce au nucléaire aux barrages hydrauliques, bénéficierait continûment d’une fiscalité plancher ; et serait fixé au coût moyen de sa production hexagonale. Du moins, si Bruno Le Maire arrive à imposer une réforme de la formation des prix de l’énergie en Europe…

Qui profitera de baisses et de crédits d’impôts ?

Emmanuel Macron avait évoqué une baisse de deux milliards d’euros de l’impôt sur le revenu des Français pendant son deuxième quinquennat, Bercy l’annonce désormais pour 2025… Les entreprises françaises bénéficieront progressivement de la baisse de la CVAE, et d’un crédit d’impôt « industrie verte », décalqué de l’IRA américain de 3,7 milliards d’euros.

Des incertitudes qui vont enflammer les débats

Au moment de préparer son budget 2024, Bercy table désormais sur une prévision de croissance ramenée à 1,4%, plutôt que jaugée à 1,6%. Certes, mais c’est plus que la croissance réelle observée de 1 % en 2023. Surtout ce taux pointe à 1,7 % dans sa prospective 2025-2027. Or l’activité se tasse déjà en Allemagne, en Chine…

Ce n’est pas tout. Croisé de la lutte contre l’inflation, Bruno Le Maire clame, droit dans ses bottes, qu’il sera possible de la ramener en France, en Europe, sous le seuil des 2 %. Est-ce si sûr dans un monde où la productivité des sols s’épuisent ? Où hommes, femmes, et dans un autre ordre d’idées, usines seront perturbés par la morsure du changement climatique ? Où construire des logements coûte de plus en plus cher ? Voilà qui sera sujet à débat.

Enfin, Bercy qui a décidé d’éteindre progressivement le dispositif de défiscalisation Pinel – 2 milliards d’euros d’économie utiles à horizon 2027 – devra piloter cette baisse des prix immobiliers, qu’il cherche à provoquer, afin de ne pas mettre un coup d’arrêt à la construction en France. Sur toutes ces questions, les oppositions sont priées de soumettre leurs contre-propositions à Bercy qui promet d’être à l’écoute. Sérieusement?

Marianne