Pour une certaine gauche, la Terreur reste une ZAD historique intouchable

Historien de la Révolution et de l’Empire, professeur associé à l’Institut catholique d’études supérieures (ICES),Thierry Lentz est l’auteur ou le coauteur de plusieurs dizaines d’ouvrages. Il a notamment publié «Sainte-Hélène, île de mémoire» (Fayard, 2005), «Quand Napoléon inventait la France. Dictionnaire des institutions politiques, administratives et de cour du Consulat et de l’Empire» (Tallandier, réédité en 2017), et, avec Fanny Farieux, «Napoléon. La biographie inattendue» (Passés composés, 2021). L’historien publie en cette rentrée «Les Mythes de la Grande Armée» (Perrin, 448 p., 23 €).

Le premier long-métrage produit par le Puy du Fou, qui raconte l’épopée du chef militaire contre-révolutionnaire Charette, est critiqué car il distordrait l’histoire. L’historien de la Révolution et de l’Empire, Thierry Lentz, se réjouit que le cinéma français poursuive la discussion autour des guerres de Vendée.

Les déconstructeurs de l’histoire de France, pour qui il n’y a en l’espèce qu’un « roman », qu’une intoxication séculaire voire un outil d’extrême-droitisation des esprits, ne dorment jamais, nous le savons. La chasse à tout ce que le général de Gaulle aurait trouvé « grand, beau et généreux » dans notre passé ne doit jamais s’arrêter. Et lorsque le cinéma produit un long métrage qui permet de cracher encore un peu plus dans la soupe nationale, la presse de gauche (qui se croit la seule à avoir de la hauteur et à parler vrai) se régale et se gargarise du « courage » du réalisateur ou de l’acteur. Foin des qualités et défauts cinématographiques ou esthétiques, pas question de tenter de trier le bon grain de l’ivraie historique : le film est forcément une œuvre qui échappe à l’examen critique et provoque l’extase obligatoire. Œuvre de l’esprit, œuvre de l’artiste car œuvre militante… du bon côté.

Pourtant, dans ce jeu de massacre de notre histoire, il reste encore quelques ZAD auxquelles il est défendu de toucher. En histoire contemporaine, avec la révolution bolchévique et le Front populaire, la Terreur et ses œuvres sont au cœur de ce camp retranché. Ici, de vaillants et grincheux défenseurs résistent encore et toujours à la critique ou aux recherches récentes, lorsqu’ils ne nient pas des faits établis depuis des lustres. Ils sont peu nombreux et rarement à jour, mais dès qu’une proie se présente, ils sortent du bois en meute et, à la guerre comme à la guerre, ne reculent devant rien pour préserver la zone.

Même adversaire des républicains, nul ne peut contester à François-Athanase Charette de La Contrie d’avoir été un des grands chefs vendéens lors du soulèvement de cette contrée dans lequel il fut presqu’entraîné à son corps défendant.” – Thierry Lentz

On en a eu la preuve cette semaine avec la campagne menée par les médias privés et publics de gauche contre le film Vaincre ou mourir, consacré aux guerres de Vendée et à l’un de leurs « géants » (Napoléon dixit), Charette.

Même adversaire des républicains, nul ne peut contester à François-Athanase Charette de La Contrie d’avoir été un des grands chefs vendéens lors du soulèvement de cette contrée (plus large que le département actuel) dans lequel il fut presqu’entraîné à son corps défendant. Chef courageux et généreux envers ses adversaires, il fut finalement capturé et fusillé par les « Bleus ». C’est cette épopée romantique que raconte Vaincre ou mourir. Pas de quoi fouetter un chat me direz-vous : de la guerre, de l’amour et un héros, de quoi faire un bon film. Mais il y a plusieurs hics.

Le premier est que l’épisode des guerres de Vendée a eu lieu pendant la période de la Terreur, zone à défendre puisque c’est celle de Robespierre et de Saint-Just. Ajoutons-y que dans cette affaire, il n’y a pas de quoi glorifier la république jacobine, malgré sa victoire. Car une fois la guerre « chaude » terminée, la Convention et le Comité de Salut public ordonnèrent une impitoyable répression, avec le massacre systématique de 120 à 150 000 hommes, femmes, enfants et vieillards. Des villages furent rasés, les champs dévastés, on fusilla, on guillotina, on noya dans la Loire, on crucifia sur des portes de granges, on immola dans les églises (ce qui nous rappelle les douloureux souvenirs de la Deuxième Guerre mondiale).

Ce fut ce que le révolutionnaire Gracchus Babœuf appela un « populicide ». C’est ce que certains osent appeler un « génocide », provoquant les hauts cris des robespierristes. Traiter d’un sujet aussi sensible – est en soi une intolérable attaque contre le mythe de la Révolution en marche, la seule qui compte, celle des jacobins. Ce qui justifie donc que montent au créneau quelques gardes rouges journalistiques, plein de certitudes et vides des connaissances de base sur l’épisode.

Puisqu’il y a du Puy du Fou dans l’affaire, le film est forcément mensonger, bassement politique et subversif. Et le chœur des vierges rouges-vertes d’entonner un chant qui, dans leur gorge, sonne faux : défendons l’histoire de France, la vraie, la seule, la révolutionnaire ! ” – Thierry Lentz

Ils se sentent d’autant plus en mission – voici notre deuxième hic – que la société de production à l’origine de ce petit film à 4 millions de budget est une filiale du Puy du Fou, l’extraordinaire parc historique et culturel créé par Philippe de Villiers et dirigé par son fils Nicolas. Il n’en faut pas plus pour hurler à la contre-révolution pis : à la zémmouri-lepénisation des esprits. Puisqu’il y a du Puy du Fou dans l’affaire, le film est forcément mensonger, bassement politique et subversif. Et le chœur des vierges rouges-vertes d’entonner un chant qui, dans leur gorge, sonne faux : défendons l’histoire de France, la vraie, la seule, la révolutionnaire !

On pourra ainsi lire dans un récent numéro de Libération, élégamment titré « Le Puy du Fourbe », un amoncellement de billevesées où l’erreur historique et la méchanceté gratuite en disputent aux arguments wokes les plus inattendus sur un tel sujet. Un régal pour les Insoumis et les Verts qui ont fait de Robespierre leur héros absolu (après avoir abandonné Trotski et Mao). Leurs féaux socialistes emboîtent le pas, tandis que la radio publique, qui s’était mise en quatre pour le film Tirailleurs, fait comme si Vaincre ou mourir était un simple documentaire égaré dans les salles obscures et indigne du prix d’une entrée.

Si le film, par manque de moyens, n’est pas exempt de critiques esthétiques, si le choix de l’ouvrir par des interventions contemporaines rend le tout un peu inhabituel, on ne voit pas pourquoi ses thèses – d’ailleurs acceptables pour un historien – auraient moins droit de cité que celles d’autres productions cinématographiques.

On devrait même se réjouir qu’enfin, le cinéma français traite un sujet pareil, ne serait-ce que pour continuer la discussion sur ces terribles et peu reluisantes guerres et exactions de Vendée. Mais la ZAD de la Terreur, sachant sa position historiquement faible, ne voudra jamais en entendre parler. C’est la seule chose qui est sûre.

Le Figaro