Série : “66-5”, une fiction de Canal+ sur les cités de Bobigny “où les héros ne sont ni arabes ni noirs”
Avec « 66-5 » sur Canal +, l’ex-showrunneuse de la série « Engrenages » livre huit épisodes âpres sur la banlieue et la façon dont la justice s’y rend. Issue de ce territoire, elle a choisi pour héroïne une jeune avocate revenue exercer à Bobigny (Seine-Saint-Denis).
Dans « 66-5 », Roxane Bauer (Alice Isaaz) quitte un cabinet d’affaires parisien pour devenir pénaliste dans le 93. Pourquoi cette avocate jeune et banlieusarde pour mener votre récit ?
Anne Landois : Roxane doit changer de vie quand son mari, associé du cabinet qui l’emploie, est accusé de viol. Elle a grandi à Bobigny et y retourne quand une amie lui demande de l’aider dans un dossier. En devenant pénaliste, elle assouvit une vieille envie, mais elle a pour nouveaux clients les voyous du quartier qu’elle avait fui. Je voulais raconter le début de carrière d’une jeune avocate, ce métier très dur et solitaire, entre permanences au tribunal et comparutions immédiates. Et une ligne de démarcation souvent floue avec les voyous.
Dans votre série, le monde des avocats est un monde d’hommes marqué par sa misogynie…
C’est surtout vrai dans les cabinets d’affaires parisiens, qui se caractérisent aussi par un fort mépris de classe. Ce qui m’intéresse dans le barreau de Bobigny, c’est qu’il est au contraire très féminin. Peut-être parce que la dureté de ses dossiers rebute beaucoup d’hommes. Une procureure me disait que ce qui paraît grave à Paris le parait moins ici où les enlèvements et les séquestrations sont, par exemple, fréquents. Beaucoup de policiers et d’avocats débutent leur carrière en Seine-Saint-Denis, et beaucoup arrêtent rapidement. On dit que quand un métier se féminise, il se précarise mais je pense qu’il faut quand même encourager les femmes à devenir avocates.
Les héros des fictions sur les cités sont souvent arabes ou noirs. Pourquoi n’est-ce pas le cas dans « 66-5 » ?
C’est vrai que l’on voit peu de blancs dans les fictions sur les cités. Je voulais embrasser le sujet des classes populaires blanches, une catégorie sociale totalement invisibilisée. Pourtant, elle est bien plus présente qu’on ne le pense. À la base, les grands ensembles avaient été bâtis pour elle. Beaucoup se sont déplacés mais pas tout le monde, loin de là. Roxane n’est pas d’origine maghrébine et ne défend aucune communauté. Avec elle, j’ai voulu traiter la banlieue comme un tremplin et non comme un territoire transitoire. C’est une jeune femme qui a appris les codes du VIIIe arrondissement mais n’a pas oublié ceux du 93.”
Comme vous ?
Pas exactement. C’est vrai que je connais bien la banlieue pour y avoir grandi. Mais je vivais à Bièvres (Essonne), un coin plutôt calme. J’ai suivi des études à Saint-Denis et je prenais le RER B pour venir de Massy. Cela me permettait de traverser plusieurs classes sociales et c’est ce parcours que j’ai eu envie de raconter. Roxane a cru réussir en épousant un avocat d’affaires et travaillant dans son cabinet. Elle s’est trompée.
C’est dur de tourner dans une cité ?
Nous avons filmé à la cité de l’Abreuvoir de Bobigny et tout s’est bien passé. Mais on ne peut pas arriver comme une fleur avec sa caméra. Il y a eu un gros travail de repérage en amont. C’est une démarche normale qui montre aux gens qu’on les respecte. Nous n’avons pas subi de coup de pression mais je sais que des séries ont déjà connu ça.
Comme d’habitude, on a l’impression que Canal + s’intéresse seulement à l’Île-de-France et pas à la province…
Ah bon ? Si c’est le cas, j’y ai participé un peu malgré moi, avec Engrenages. C’est vrai que, historiquement, dans les années 1980, la chaîne a commencé à montrer la banlieue quand on la montrait peu. 66-5 s’inscrit dans ce souci d’authenticité, cette volonté de présenter ces territoires comme on n’a pas l’habitude de les voir. La réalisatrice Danielle Arbid filme une cité chaleureuse avec des gens vivant dehors et tous les services à proximité : le collège, le centre de loisirs, la forêt… Un endroit où on n’est pas obligé de prendre les transports. C’est ce que j’ai vécu étant jeune. Mais Canal + et moi-même avons de plus en plus envie de sortir d’Île-de-France et d’explorer de nouveaux territoires.
« Engrenages » « La Promesse », « 66-5 » … pourquoi la justice vous fascine-t-elle à ce point ?
J’ai commencé ma carrière en écrivant des fictions pour M6 et cela m’a donné le goût des audiences. C’est fascinant et rassurant d’observer ce pilier de la République, cette démocratie miniature qui fonctionne entre quatre murs. J’aime suivre des affaires, petites comme grandes, dans les tribunaux de Paris, Créteil, Nanterre ou Bobigny. Fréquenter ces récits qui se bâtissent au jour le jour nourrit mon travail et me sort du brouhaha de l’actualité. Je pourrais passer des heures en comparution immédiate.
***
« 66-5 ». Le lundi à 21 heures sur Canal +. Deux épisodes par soirée. Disponible sur myCANAL