Suède : Le fléau scolaire des « notes du bonheur »
Dans le royaume scandinave, les scandales se multiplient, révélant l’étendue du phénomène des notes gonflées artificiellement, sans aucun rapport avec le niveau des élèves, par des établissements se livrant à une concurrence féroce.
L’année scolaire se termine et les jeunes Suédois vont bientôt recevoir leur bulletin. Pour les élèves de 9e (dernière année de collège) et de 3e (l’équivalent de la terminale), les notes détermineront dans quel lycée ou quelle université ils étudieront l’an prochain. Mais que valent ces notes ? Sont-elles le reflet du niveau de l’élève, ou ont-elles été gonflées par les enseignants ou le principal, afin d’enjoliver les résultats de l’établissement ?

En Suède, on appelle cela les « glädjebetyg » – les « notes du bonheur ». Si le phénomène n’est pas récent, il a pris une telle ampleur ces dernières années que le recteur de l’Ecole de commerce de Stockholm, un des établissements d’enseignement supérieur les plus prestigieux de la capitale suédoise, a tapé du poing sur la table, le 11 mai. Dans une tribune au vitriol publiée dans le quotidien Dagens Nyheter, Lars Strannegard menace, si rien ne change, d’instaurer un concours à l’entrée de son école.
Il dénonce des notes « transformées en une sorte de marchandise, des leurres dans le but d’attirer de futurs étudiants », et estime qu’il est impossible désormais d’être sûr que « ce sont les bons étudiants qui entrent dans les universités les plus recherchées après avoir terminé leurs études secondaires ». Pour Lars Strannegard, « les piliers mêmes du modèle social suédois » que sont « la méritocratie, l’égalité et la confiance » sont en danger, et à terme, « la démocratie ».
Pressions des élèves et de leurs parents
Ce gigantesque coup de gueule a d’autant plus fait sensation en Suède que le recteur cite plusieurs établissements soupçonnés de gonfler les notes, parmi lesquels se trouvent les lycées fréquentés par la progéniture de la fine fleur de la société suédoise. […]
Dans un article publié dans le quotidien Dagens Nyheter en août 2009, deux chercheurs de l’Institut de recherche d’économie industrielle à Stockholm s’alarmaient déjà du phénomène des glädjebetyg, qui avait permis, entre 1997 et 2007, de voir le nombre d’élèves terminant le lycée avec le maximum de points multiplié par vingt-huit. […]
« Plus vous attirez d’élèves, plus vos ressources augmentent »
Quatorze ans plus tard, la présidente du syndicat des enseignants, Johanna Jaara Astrand, partage leur analyse, tant du point de vue des causes que des conséquences : « L’inflation des notes résulte du fait que l’école soit devenue un marché et que son système de financement génère de la concurrence entre les établissements, qui doivent montrer de bons résultats pour attirer le plus d’élèves possible et maximiser leurs ressources », dénonce-t-elle.
Dans ce modèle unique au monde, écoles privées et publiques sont financées à 100 % par les communes, selon le principe d’un « chèque scolaire », dont le montant varie d’une municipalité à l’autre, et qui est attribué aux établissements pour chaque élève inscrit. « Cela signifie que plus vous attirez d’élèves, plus vos ressources augmentent », résume Johanna Jaara Astrand.
Dans ce système, les notes sont le meilleur argument de vente des écoles : des notes élevées garantissent la bonne réputation d’un établissement, puisqu’elles permettent à ses élèves d’intégrer ensuite la formation de leur choix, comme l’Ecole de commerce de Stockholm, qui n’accepte que les plus brillants, sur la base de leurs bulletins. Une réputation qui se mesure à la longueur de la file d’attente à l’entrée, contribuant, selon Johanna Jaara Astrand, à la « ségrégation scolaire » en plein boom en Suède.
Une commission d’enquête
Or, derrière ces notes se cachent souvent des pratiques peu avouables, confie la présidente du syndicat des enseignants : « Nos membres témoignent de pressions de la part des directeurs ou des propriétaires [des groupes scolaires privés à but lucratif], qui modifient leurs notes ou même menacent indirectement les enseignants, en leur disant que s’ils n’augmentent pas leurs notes, ils n’auront pas de hausse de salaire. »
Le 11 mai, la ministre des écoles, Lotta Edholm, a annoncé la mise en place, avant l’été, d’une commission d’enquête chargée de faire des propositions pour lutter contre les « notes du bonheur ». Mais pour le syndicat, seule une réforme de l’organisation du système scolaire et de son financement pourra résoudre le problème.