Ultragauche : “Le choix de la violence”, ses réseaux, ses modes de recrutement, ses soutiens

Alors que le gouvernement se focalise sur une hypothétique montée en puissance de l’ultradroite, les black blocs et autres «antifas» se déchaînent dans les rues de nos villes. Une stratégie de choc frontal assumée, qui déborde la police et bénéficie de la mansuétude de la justice.

Un policier qui prend feu le 1er mai après avoir reçu un cocktail Molotov boulevard Voltaire, à Paris ; un gendarme touché par un tir de mortier à Sainte-Soline, le 25 mars, lors de la manifestation interdite contre la « mégabassine » ; le nouvel hôtel Mama Shelter de Rennes saccagé et ses vigiles molestés le 16 mars, au soir du recours au 49.3 pour faire passer la réforme des retraites… Sans parler des voitures et motos incendiées, de police ou non, des poubelles brûlées, des vitrines explosées, et pas seulement de banques, des abribus démolis un peu partout dans les villes grandes et moyennes et des facs bloquées manu militari. Les agressions « politiques » contre les personnes et les biens n’ont jamais connu un tel niveau dans notre pays.

Idéologies antisystème

Leur point commun : elles sont commises par des individus se réclamant d’idéologies antisystème, déterminés à abattre le capitalisme et convaincus de l’impossibilité d’atteindre leur objectif par les voies démocratiques. La légitimation de la violence n’est pas l’apanage de l‘ultragauche, mais c’est bien elle qui y a recours le plus massivement, sans que l’État parvienne à juguler le phénomène ni l’engouement croissant qu’il suscite dans la jeunesse.

Visé par un cocktail Molotov, un policier prend feu le 1er mai à Paris. Florian Poitout/ABACA

À la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), on suit ces mouvances de très près, en les distinguant selon la nature de la menace qu’elles représentent. Les plus dangereuses, susceptibles de commettre des attentats, sont heureusement les moins nombreuses. Depuis 2017, 10 projets émanant de ce que la DGSI désigne comme la « mouvance ultra » ont été déjoués : six avaient été fomentés par des groupuscules d’ultradroite et visaient des cibles juives ou maghrébines, trois étaient l’œuvre de conspirationnistes peu structurés politiquement et un seul avait été conçu par des individus évoluant dans un milieu d’ultragauche. Ce dernier projet a été découvert fin 2020. Sa tête pensante, repérée par la DGSI pour avoir combattu au côté des Kurdes en Syrie et en Irak, y était devenue experte en maniement d’explosifs. De retour en France, l’homme avait constitué un commando pour s’en prendre à des représentants des forces de l’ordre, avec séances d’entraînement et tests d’explosifs dans l’Indre et dans le Sud-Ouest.

Incendies volontaires

Si l’ultragauche est rarement impliquée dans des entreprises terroristes stricto sensu, elle recourt fréquemment à des actions violentes planifiées. La sécurité intérieure estime qu’en France environ 3000 personnes sont susceptibles d’en commettre dans cette mouvance, avec une prédilection pour l’incendie. En 2022, un record a été établi en la matière par un individu responsable de plus d’une cinquantaine d’actes incendiaires. Interpellé à Paris, il a expliqué qu’il mettait le feu à des véhicules portant des plaques diplomatiques parce que l’existence des États, quels qu’ils soient, était pour lui un mal absolu.

L’année 2020 a été marquée par une « campagne » d’incendies volontaires visant, entre autres installations, des antennes-relais téléphoniques mais aussi des véhicules utilisés par des entreprises qui travaillent pour l’État. Vinci en a été la victime parce qu’elle construit des prisons. Sur les 167 faits recensés cette année-là, 44 étaient imputables à l’ultragauche. 2017 aussi avait été une année prolixe pour les « anarcho-libertaires ». La caserne de gendarmerie de Meylan, dans l’Isère, avait été prise pour cible à deux reprises et à un mois d’intervalle. Les incendiaires s’étaient attaqués à la cour de l’armurerie mais également aux domiciles particuliers de plusieurs militaires. Le premier incendie était signé Solidarité incendiaire, un collectif qui exigeait l’abandon d’un procès en cours contre d’autres militants qui avaient eux-mêmes mis le feu à un véhicule. Le second avait été revendiqué par des femmes qui prétendaient lutter ainsi contre le sexisme. « Nous pensons que les rôles existent parce qu’il y a des personnes pour les remplir. Si derrière l’uniforme, il y a un humain, c’est à lui que nous avons cherché à nuire », avaient-elles précisé dans un communiqué.

Une note publiée en février par le Centre de recherche de l’École des officiers de la gendarmerie nationale (Creogn) relève une proportion de plus en plus importante des cibles politiques (permanences voire domiciles d’élus notamment) et des actions justifiées par des motivations écologiques dans les faits de violence répertoriés. Elle cite en particulier le sabotage commis le 10 décembre 2022 par le collectif Les Soulèvements de la Terre dans la cimenterie Lafarge de Bouc-Bel-Air, près de Marseille. Une centaine de militants ont causé des dégâts évalués à 4 millions d’euros, mais il a fallu les violences de Sainte-Soline pour que le ministre de l’Intérieur annonce le lancement d’une procédure de dissolution du mouvement.

À Sainte-Soline, la gendarmerie a utilisé des marqueurs ADN sur les casseurs. Jerome Gilles/NurPhoto via AFP

Géographiquement, selon la note du Creogn, qui a recensé des « actions illégales » dans 61 départements, la menace représentée par l’ultragauche est « particulièrement diffuse » sur le territoire national. La Haute-Garonne est le département le plus touché depuis 2019, avec presque 15 % des actions sur son territoire. L’activité des militants d’ultragauche est cette année en recul en Île-de-France mais en nette augmentation dans deux départements du Sud-Est, l’Isère et la Savoie.

“Pipitov” et “cacatov”

La modalité d’action violente de l’ultragauche la plus visible pour l’opinion publique est bien sûr de profiter des manifestations pour agresser et casser. Au fil des mouvements, la technique du black blocs s’est perfectionnée. « Des individus viennent deux ou trois jours avant sur le parcours du cortège pour cacher des tenues et des armes, dans des chantiers, des cages d’escalier d’immeubles dont ils possèdent les codes ou chez des commerçants ou des particuliers sympathisants », raconte un policier. Les armes en question vont des outils traditionnels – pieds-de-biche, masses – aux mortiers de feux d’artifice, en passant par les « pipitov » et « cacatov » – bouteilles ou bocaux remplis d’urine ou de matière fécale, utilisés par les opposants à Nicolás Maduro au Venezuela et importés en France par les zadistes de Notre-Dame-des-Landes, imités ensuite par les « gilets jaunes ». Certains activistes s’équipent pour blesser gravement, voire pour tuer, avec des machettes, des haches, des boules de pétanque, des bouteilles d’acide, des bombes artisanales farcies de clous…

« Au moment de passer à l’action, le black bloc s’inspire du travail à la chaîne dans l’industrie, précise le policier. Un premier individu pousse le pavé avec le pied, un deuxième le saisit pour le passer à un troisième posté devant l’objectif visé. Cette décomposition complique encore le travail de la justice. »

Très peu d’ouvriers participent aux black blocs, qui attirent davantage dans les classes moyennes insérées dans la vie professionnelle. Les plus jeunes sont aussi les plus représentatifs de ces « black bourges » évoqués par le ministre de l’Intérieur. L’afflux de sang neuf est un phénomène qui inquiète les services de renseignement. Ces jeunes gens qui se laissent tenter par l’activisme violent, soit par conviction, soit par contagion, étaient majoritaires dans les manifestations nocturnes qui ont vandalisé les rues de Paris et de plusieurs villes à la mi-mars pendant plus d’une semaine. Par une fâcheuse coïncidence, le gouvernement a dégainé le 49.3 alors que les lycéens, qui venaient de passer les épreuves de spécialités du bac, étaient enfin libres de se mobiliser et de rejoindre des étudiants à peine plus âgés qu’eux, qui se démarquaient déjà dans les manifestations autorisées par leur violence et leur hostilité à toute forme d’autorité, qu’elle soit policière ou syndicale.

Lutte «intersectionnelle»

Ces « bébés » antifas sont le nouveau visage de l’ultragauche. À l’origine plutôt « viriliste » et focalisée sur la destruction de l’État, elle s’est ouverte à d’autres causes, le climat en tête, mais aussi la lutte contre le patriarcat, le racisme et l’homophobie. Bref, elle est devenue « intersectionnelle », du moins par sa détermination et ses méthodes. L’« Appel des Soulèvements de la Terre », acte fondateur du mouvement du même nom, illustre ce grand mélange : « Nous sommes des jeunes révolté·e·s qui ont grandi avec la catastrophe écologique en fond d’écran et la précarité comme seul horizon, écrivent ses signataires. Nous sommes traversé·e·s par un désir croissant de déserter la vie qu’ils nous ont planifiée, d’aller construire des foyers d’autonomie à la campagne comme en ville. Sous état d’urgence permanent, nous avons lutté sans relâche contre la loi travail, les violences policières, le racisme, le sexisme et l’apocalypse climatique… » Ce texte a été rédigé en janvier 2021 « depuis la ZAD de Notre-Dame-des-Landes », précise le site des Soulèvement de la Terre. Des militants de cette ZAD ont été repérés et, pour certains, arrêtés après avoir commis des violences dans des manifestations contre la réforme des retraites.

Le nouvel hôtel Mama Shelter de Rennes attaqué le 15 mars. Joël Le Gall / Ouest-France/MAX

Selon le criminologue Alain Bauer, « cette porosité est une convergence des rages plutôt qu’une convergence des luttes »« Le problème, dit-il, n’est pas que l’extrême gauche est devenue plus violente, mais que tout le monde est devenu plus violent et que l’extrême gauche en profite. » Un diagnostic corroboré il y a déjà deux ans par une étude sur les radicalités réalisée par le Centre d’études et de recherches universitaire (Ceru). Seules 6 % des personnes interrogées s’y déclaraient prêtes à « saboter ou pratiquer des microsabotages » dans des infrastructures ou des usines pour sauver la planète, mais cette proportion montait à 37 % chez les 18-35 ans. Ironiquement, les écolos radicaux sont eux-mêmes victimes de cette évolution. Extinction Rebellion (XR), par exemple, qui s’est récemment distingué en bloquant l’accès à une agence BNP de Grenoble et en maculant sa façade, a connu des dissensions internes et perdu certains de ses « rebelles » parce qu’ils trouvaient le mouvement trop modéré et refusaient d’agir à visage découvert, une des règles d’XR. De ces divergences sont nés d’autres collectifs, comme Dernière Rénovation, qui a fait parler de lui par des blocages sur les autoroutes et sur le périph.

Les “antifas”, de plus en plus jeunes, ont élargi leur combat anticapitaliste au climat et au patriarcat

Alain Bauer pointe une responsabilité du gouvernement dans cette banalisation de la violence : « Les “gilets jaunes” ont obtenu davantage grâce à elle que les syndicats par les mobilisations traditionnelles, ce qui a créé un précédent. » Mais les attaques et « sabotages » perpétrés au nom d’idéaux politiques ne se réduisent pas à des expressions de colère spontanées. L’ultragauche a ses gourous et ses manuels. En 2018, le britannique Mark Bray publie L’Antifascisme. Son passé, son présent et son avenir (Éditions Lux). Il y invente ce qu’Olivier Vial, directeur du Ceru, appelle « l’antifascisme au quotidien »« Son raisonnement est qu’on ne peut pas interdire aux gens de penser ce qu’ils pensent, explique-t-il, mais on peut faire en sorte que le coût social de l’expression de certaines idées devienne trop lourd. On met la pression sur les réseaux sociaux, on empêche les meetings et les réunions. Au début, ça protestera un peu au nom de la liberté d’expression, puis les gens s’habitueront. »

Une route lyonnaise bloquée par Dernière Rénovation le 25 novembre 2022. Nicolas Liponne / Hans Lucas via

Six mois de travaux

Les blocages des facs au plus fort du mouvement sur les retraites lui donnent raison. Bien peu de voix se sont élevées quand les contestataires ont investi et saccagé campus et amphis à Grenoble, Bordeaux, Strasbourg, Caen ou encore Lille. Le contribuable n’a qu’à payer ! À Bordeaux, où Jean-Marc Rouillan, fondateur d’Action directe, en conditionnelle après sa condamnation pour attentats terroristes dans les années 1980, a été invité par les grévistes à donner une conférence le 28 mars, on estime que réparer les dégâts causés pendant les dix jours de blocage va nécessiter six mois de travaux, pour un coût qui pourrait s’élever jusqu’à 1 million d’euros.

Des menaces contre deux militants de l’UNI à la fac de Grenoble. DR

À Paris, l’occupation rituelle de Tolbiac s’est déroulée dans la plus parfaite indifférence. En revanche, les blocages d’Assas puis de Dauphine, mi-janvier, en pleins partiels, ont suscité des réactions enthousiastes : voir ces temples du conservatisme rejoindre la mobilisation prouvait bien l’indignité de la réforme ! En fait, c’est une toute petite minorité d’activistes qui a sévi, avec le renfort d’étudiants, voire de non-étudiants venus de l’extérieur.

«Police de la pensée»

De nombreuses facs servent depuis longtemps d’incubateurs à l’ultragauche dans toutes ses composantes(lire notre enquête du 10/05/2019 sur le Figaro.fr). Mais dans le monde universitaire aussi, un cap a été franchi dans le recours à la violence. « Sur les quinze derniers jours, des antifas ont agressé une dizaine de membres de l’UNI, rapporte Olivier Vial, qui fut longtemps président du syndicat de la droite universitaire. Ils font des fiches sur certains de nos militants, repèrent leurs domiciles pour tenter de les intimider jusque chez eux. On n’est plus dans la “baston” traditionnelle sur les campus. » Le 12 mai, un tag « 10 améliorable. Mort à Yvenn, mort à Samuel » est apparu sur le mur de l’un des bâtiments de l’université de Grenoble ; 10 est la note plancher que les syndicats universitaires de gauche revendiquent pour tous les étudiants depuis la crise du Covid et les prénoms sont ceux de deux militants de l’UNI, opposée à cette notation. Au cours du week-end du 1er avril, sur la façade d’un immeuble en construction juste en face de Sciences Po Lille, ce sont cette fois les noms de 11 étudiants en désaccord avec le blocage de l’établissement qui ont été placardés sur un « mur de la honte ». Des pratiques dénoncées par le directeur, Pierre Mathiot, qui a jugé inacceptable de vouloir ainsi imposer une « police de la pensée ».

Assas bloquée, pour la première fois de son histoire. Martin Noda / Hans Lucas via AFP

Mais l’ultragauche n’argumente pas : elle disqualifie l’adversaire. D’où son recours sans complexe à la violence. Parmi ses gourous, l’écologue suédois Andreas Malm occupe une place de choix. Il s’appuie sur la théorie du « flanc radical », selon laquelle les pratiques extrêmes contribuent par contraste à élargir le champ de ce qu’une société considère comme acceptable, défini par la « fenêtre d’Overton », du nom du politologue américain Joseph Overton, qui l’a théorisée. Olivier Vial a suivi Andreas Malm à la trace dans le cadre de ses recherches sur les radicalités : « Malm veut en finir avec la “religion de la non-violence” et il est agréablement surpris d’être mieux compris en France que dans son pays natal, où la théorie d’un “flanc radical” est critiquée par la gauche. Fin mars, il a fait un stage d’immersion en France en participant à plusieurs manifs, dont celle de Sainte-Soline. »

Certains juges répugnent à punir la violence quand ses auteurs invoquent des motifs politiques

L’ouvrage qui a fait connaître l’universitaire suédois en France s’intitule Comment saboter un pipeline. Il a été publié par La Fabrique, la maison d’édition fondée par le militant d’extrême gauche Éric Hazan. À son catalogue, entre autres titres, l’ouvrage collectif Police, qui conteste purement et simplement l’utilité de l’institution. Parmi les auteurs, on trouve Éric Hazan lui-même, Antonin Bernanos, arrière-petit-fils de l’écrivain catholique, figure de l’Action antifasciste Paris-banlieue et multicondamné, notamment pour sa participation à l’incendie d’une voiture de police en mai 2016, quai de Valmy, à Paris, ou encore Frédéric Lordon, gourou de Nuit debout et fondateur, fin 2022, de l’organisation Révolution permanente. « Qu’est-ce qu’un parti révolutionnaire ? C’est une organisation qui se propose de tout niquer méthodiquement – de tout niquer, pour commencer », explique Frédéric Lordon. Pas sectaire, La Fabrique a aussi publié Les Blancs, les Juifs et nous d’Houria Bouteldja, du Parti des indigènes de la République.

Jean-Luc Mélenchon et Raphaël Arnault, de la Jeune Garde, en manifestation contre l’extrême droite le 13 novembre 2022 à Paris. Amaury Cornu / Hans Lucas

Jean-Luc Mélenchon a offert à Andreas Malm une chaire à l’Institut La Boétie, le think tank qu’il vient de relancer pour en faire un « phare idéologique de la gauche anticapitaliste » et un « outil d’éducation populaire ». Une première promotion de 70 militants de La France insoumise a été sélectionnée, en majorité des jeunes. Le « Líder máximo » de LFI a une façon bien particulière de condamner la violence, comme il vient encore de le montrer par son tweet de réaction au passage à tabac du petit-neveu de Brigitte Macron. « Des commentateurs indifférents aux tentatives de meurtre et agressions racistes contre des insoumis me somment de me prononcer sur l’agression à Amiens contre le chocolatier Trogneux, a-t-il écrit. Je lui exprime ma compassion et je joins ma protestation à la sienne. Je demande à Macron et Madame d’en faire autant pour nos amis agressés ou menacés sans réserver leur sollicitude au seul Zemmour quand il fut molesté. » Qui sont ces membres de LFI laissés sans protection ? Certainement pas le député du Val-de-Marne Louis Boyard, spécialiste de la mobilisation des facs chez les insoumis, dont le domicile a été placé sous surveillance policière renforcée parce qu’il a reçu des menaces.

Nébuleuse

Dans un sondage sur la contestation de la réforme des retraites réalisé fin mars par L’Ifop en partenariat avec Paris Première, 60 % des sympathisants de LFI estimaient qu’« il est parfois nécessaire de recourir à des actions violentes pour faire avancer sa cause ou ses idées ». 37 % des personnes interrogées se disant proches d’Europe Écologie Les Verts et 36 % proches du PS partageaient cette conviction, qui recueillait 45 % d’approbations chez les 18-34 ans, toutes sensibilités politiques confondues, mais tout de même 35 % dans les autres catégories d’âge.

ParLe Suédois Andreas Malm, promoteur des sabotages «écologiques». Â©Isabella De Maddalena/opale.ph

LFI n’est pas la seule à revendiquer une proximité avec certains penseurs de l’action violente. Le 3 avril, l’écolo Aurélien Taché a invité Raphaël Archenault, dit Raphaël Arnault, porte-parole de la Jeune Garde, à témoigner lors d’une table ronde sur « la lutte contre le terrorisme d’extrême droite » à l’Assemblée nationale. À 28 ans, cet assistant d’éducation peut se vanter d’avoir, avec son mouvement, réussi à coordonner en partie, au niveau national, une nébuleuse qui se caractérisait auparavant par son éclatement. Des militants de la Jeune Garde pratiquent individuellement l’insulte et l’agression(lire l’enquête du 16/05/2023 sur Lefigaro.fr) mais veulent montrer collectivement un visage respectable. « En général, ces mouvements ont tendance à écarter eux-mêmes leurs éléments les plus radicaux quand ils se retrouvent sous le feu des médias, analyse une source à la DGSI. Quand vous entendez parler d’eux, c’est qu’ils ne sont plus vraiment dangereux. » Ce qui ne facilite pas le travail de la police et de la justice.

La Jeune Garde défile aussi pour le climat, ici à Lyon le 9 avril 2022. Stephane AUDRAS/REA

La faiblesse de la réponse régalienne à la violence politique est au cœur de la commission d’enquête parlementaire demandée par les groupes Renaissance et Horizons sur « la structuration, le financement, les moyens et les modalités d’action des groupuscules auteurs de violences » au cours des manifs retraite et à Sainte-Soline. La France insoumise et les écolos ont tout fait pour empêcher sa création, votée le 10 mai à l’issue d’une séance houleuse. « Le vrai débat, celui que vous refusez depuis des mois, c’est celui du maintien de l’ordre ! » a accusé l’écologiste Benjamin Lucas, tandis qu’Ugo Bernalicis (LFI) s’attirait les applaudissements de ses collègues de gauche en qualifiant la Brav-M (brigade de répression de l’action violente motorisée) de « black bloc de Darmanin, avec le droit de frapper ».

«Fortes précautions»

Ces deux députés seront membres de la commission au titre de leurs formations respectives, ce qui augure mal de la sérénité de ses travaux. En revanche, ceux de la mission d’information sur l’activisme violent, lancée en février à l’Assemblée nationale, ont déjà permis de dégager une piste pour lutter contre les « ultras » : ce qu’Éric Poulliat appelle la « judiciarisation » de l’action des services de renseignement. « Actuellement, il est très difficile d’utiliser une note blanche comme élément de preuve sans que le juge la communique immédiatement à la partie adverse, parce que notre droit est fondé sur le principe du contradictoire, explique le député Renaissance de Gironde, corapporteurde la mission d’information. Il faut élargir les exceptions possibles à ce principe pour que la justice puisse faire son travail sans pour autant nuire à celui des renseignements, dont les moyens humains doivent, par ailleurs, être renforcés. »

La manifestation du 1er mai à Paris a battu un record de violence. Lionel Préau / Riva Press

Éric Pouillat préconise aussi le déploiement des outils dont on dispose depuis longtemps, tels que les drones et les pistolets à marqueurs ADN pour « bétonner les éléments d’enquête » et éviter que les procédures tournent court. Mais il reconnaît que ni les effectifs supplémentaires ni l’amélioration des techniques ne suffiront, à eux seuls, à vaincre les « fortes précautions » dont s’entourent certains juges dès lors qu’ils se retrouvent face à la violence militante. « Ils ne veulent pas alimenter le discours de l’ultragauche sur la justice politique », soupire le député macroniste. Quand ils ne le partagent pas, mais c’est un autre sujet.

Violence de l’ultragauche: paroles d’activistes et de repentis

Ils sont ou ont été militants d’extrême gauche, ils sont passés par les groupuscules «antifas» ou black blocs et racontent leur rapport à la violence.

«Je viens de la gauche radicale. La violence, tant qu’elle n’est pas inutile, ne me gêne pas.» Communiste revendiqué, il a cette gouaille héritée des milieux populaires dans lesquels il a grandi et évolué, mais aussi le verbe franc de celui qui a forgé sa détermination dans l’engagement politique sur le terrain. Et même s’il réfute le terme, Manuel* est un militant d’extrême gauche, acquis à cette cause depuis toujours. Activiste, syndicaliste et aujourd’hui cadre au sein du parti de La France insoumise, il a dirigé plusieurs campagnes électorales et se dit écœuré des dérives dont il est le témoin.

Convaincu de la légitimité de la cause pour laquelle il se bat, il se refuse encore à quitter le mouvement. Mais se montre, en secret, très critique sur le sujet des violences, notamment lors des dernières manifestations que Jean-Luc Mélenchon et ses insoumis refusent de condamner clairement en usant et abusant d’un discours quelque peu ambigu. «Je ne suis pas un enfant de chœur, affirme volontiers…

Le Figaro