Une vidéo présente le meurtre d’un Ivoirien en Tunisie, il s’agit en réalité de l’agression d’un Gambien, tué à coups de couteau à Saint-Etienne par des Arméniens

La vidéo d’un jeune homme battu à mort circule sur les réseaux sociaux ouest-africains, notamment sur Whatsapp, et montre prétendumment l’assassinat du président d’une association de ressortissants ivoiriens en Tunisie. De nombreuses rumeurs ont émergé sur fonds de violences racistes visant les ressortissants des pays d’Afrique subsaharienne en Tunisie, après des déclarations incendiaires du président Kais Saied contre les migrants fin février. Mais la vidéo virale est ancienne et montre en réalité l’agression mortelle d’un Gambien en France en 2021.

Sur la séquence d’1 minute 30, on voit un jeune homme noir assailli par une dizaine d’hommes qui le rouent de coups. La victime tente vainement d’échapper à ses bourreaux et finit par s’effondrer, en sang, sur une esplanade surplombant un escalier, à quelques mètres du sol.

Tunisie, le meurtre du Président de l’association des ivoiriens résidant dans ce pays,” croit savoir l’auteur du message abondamment relayé début mars sur les réseaux sociaux de pays ouest-africains comme la Côte d’Ivoire, le Sénégal ou le Mali. Il a été amplifié par le tweet d’un influenceur et militant panafricain, connu sous le pseudo Egountchi Behanzin.

Falikou Koulibaly, 33 ans, a été victime d’une agression meurtrière alors qu’il rentrait chez lui, dans la zone de la Soukra (banlieue nord de Tunis), en compagnie d’un ami. Il a ensuite été mortellement poignardé à deux reprises“, a -t-il écrit le 7 mars dans une publication partagée plus de 1.200 fois sur Twitter.

Ces affirmations interviennent dans un contexte tendu en Tunisie, alors que les récentes déclarations du président Saied contre les migrants illégaux subsahariens ont entraîné des agressions racistes dans ce pays d’Afrique du Nord.

Un drame survenu en France en 2021

Le 21 février, celui-ci avait affirmé que la présence en Tunisie de “hordes” d’immigrés clandestins provenant d’Afrique subsaharienne était source de “violence et de crimes” et relevait d’une “entreprise criminelle” visant à “changer la composition démographique” du pays.

Des propos dénoncés par des ONG et condamnés par l’Union africaine qui a exhorté ses Etats membres à “s’abstenir de tout discours haineux à caractère raciste, susceptible de nuire aux personnes“.

Mais la vidéo qui circule n’a rien à voir avec la Tunisie.

Nous avons effectué une recherche d’image inversée à partir de la vidéo virale avec l’outil InvidWeVerify et avons retrouvé quelques-unes des scènes qu’elle contient, associées à un tweet datant de mai 2021. Lequel évoque un incident dramatique survenu en France. “Youssoupha ne pourra pas donner son amour à sa fille et sa fille ne connaîtra pas l’amour d’un père,” écrit l’auteur de ce tweet en y joignant la capture d’écran d’un article qui mentionne le hashtag #JusticePourYoussoupha.

Une recherche avec cet hashtag permet de retrouver d’autre tweets accompagnés de la vidéo qui fait l’objet de notre recherche, notamment le tweet d’un média français qui annonce la mise sous écrou de “trois personnesaprès le meurtre d’un #Gambien de 26 ans” à Saint-Etienne.

Une autre recherche Google en reprenant les mots clés qui précèdent conduit à une dépêche détaillée de l’AFP sur cette affaire, publiée le 29 mai 2021.

La victime, père d’une fillette de deux mois, a été agressé dans un quartier résidentiel pour un «motif futile» par des individus «apparemment sous l’effet de l’alcool», et a reçu quatre coups de couteau dans le ventre, selon l’AFP qui cite une source policière. Trois suspects ont été mis en examen pour “meurtre avec armes en réunion“.

Une autre recherche Google avec les mots “Où a été tué un Gambien à saint Etienne” mène à un article du Bondy Blog qui évoque un “hommage à Yusufa” au “quartier de la Métare, le parvis de l’immeuble au 7b rue Colette“. L’article est illustré par la photo d’un escalier qui ressemble à celui de la vidéo qui circule.

Avec l’outil de géolocalisation Google Maps, nous constatons que l’adresse évoquée dans l’article de blog correspond au site qui apparaît dans la vidéo virale. On y retrouve les mêmes garde-fous en fer (flèches jaunes), un espace de pierres blanches incrustées au sol (carré rouge) qui jouxte un escalier visiblement réaménagé quelques temps après la photo publiée sur Google Maps en 2019. Sa rampe a néanmoins la même forme (cercles rouges).

Amalgame avec un drame ancien

Par ailleurs, certains internautes dont l’influenceur Egountchi Behanzin semblent faire l’amalgame avec un drame survenu en 2018 en Tunisie. Cette année-là, le président de l’Association des Ivoiriens de Tunisie (AIT), Falikou Coulibaly, avait effectivement été poignardé à mort dans une attaque qualifiée de “raciste” par sa communauté.

Contacté par l’AFP, le secrétaire général de l’association AIT a par ailleurs affirmé qu’aucun Ivoirien n’avait été récemment tué à sa connaissance. “Non, non, ce qui se raconte actuellement n’est pas vrai. Pour le moment, il n’y a pas eu mort d’homme parmi les ressortissants ivoiriens en Tunisie“, a déclaré Ferdinand Tohbi. Des déclaration corroborées par Jean Bedel Gnabli, président de l’Association des ivoiriens actifs en Tunisie (ASSIVAT), un autre regroupement de la diaspora.

En revanche, ajoute Ferdinand Tohbi, “nous sommes menacés de mort. Je reçois des appels anonymes. Ce sont des réalités. On prend nos dispositions pour être en sécurité”. D’ailleurs, ajoute-t-il, le président de leur association (AIT) est rentré en Côte d’Ivoire “lorsque la situation a commencé à se dégrader après les propos du président tunisien.”

Les déclarations incendiaires de Kais Saied ont semé un vent de panique parmi les migrants subsahariens en Tunisie, qui font depuis état d’une recrudescence des agressions les visant. Originaires de Guinée, du Mali ou de Côte d’Ivoire, ils se sont précipités par dizaines vers leurs ambassades pour être rapatriés.

Selon le gouvernement ivoirien, 1.300 ressortissants ont été recensés en Tunisie pour un retour volontaire. Un chiffre significatif pour cette communauté qui, avec environ 7.000 personnes, est la plus importante d’Afrique subsaharienne en Tunisie, à la faveur d’une exemption de visa à l’arrivée. .

Les premiers vols de rapatriement ont eu lieu le 4 mars, près de 300 Maliens et Ivoiriens ont rejoint leurs pays.

Ce jour-là, quatorze personnes, dont un membre du Parlement sénégalais, ont en outre été arrêtées devant l’ambassade de Tunisie à Dakar, pour “participation à une manifestation interdite“. Ils ont été libérés le lendemain.

Le 8 mars, le président Kais Saied s’est défendu de tout racisme à l’égard des Africains subsahariens après le tollé suscité par son discours contre les migrants clandestins dans son pays.

La Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et Amnesty international ont condamné des “propos racistes“, et exhorté les autorités tunisiennes à des enquêtes indépendantes sur les attaques visant ces migrants. La Banque mondiale (BM) a annoncé suspendre “jusqu’à nouvel ordre” son cadre de partenariat avec la Tunisie.

Selon des chiffres officiels cités par l’ONG Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux, la Tunisie, qui compte quelque 12 millions d’habitants, abrite plus de 21.000 ressortissants de pays d’Afrique subsaharienne, en majeure partie en situation irrégulière.

Factuel.AFP

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Marche blanche pour Yusufa à Saint-Etienne : « c’est un frère noir qui a été tué »

Environ 500 personnes sont venues rendre hommage samedi 5 juin à Yusufa, Sénégalo-Gambien de 26 ans, mort après avoir été poignardé à Saint-Etienne la nuit du mercredi 26 mai. La marche, organisée par la famille de la victime et le collectif JIAS (Journée de l’initiative africaine de Saint-Etienne), s’est déroulée dans le calme et le recueillement avec un mot d’ordre : « Justice pour Yusufa ». Reportage

Dans le quartier de la Métare, le parvis de l’immeuble au 7b rue Colette se remplit de monde. Des roses sont déposées sur la rambarde de l’escalier où Yusufa, père d’une petite fille de 2 mois, s’est effondré après avoir été attaqué et poignardé par plusieurs individus, une dizaine de jours auparavant.

Deux riverains accrochent une banderole à l’endroit même où Yusufa a perdu la vie.

Beaucoup d’inconnus, mais aussi des proches du jeune homme ont tenu à se réunir pour faire leurs adieux. C’est le cas de Nelly, une amie de Yusufa : « C’était vraiment quelqu’un de bien. Il était plein d’ambition et adorait faire du sport. C’est en faisant que je l’ai rencontré. Yusufa était joyeux et très gentil. Tout le monde l’appréciait », raconte-t-elle difficilement à travers ses sanglots.

Nina, une jeune femme d’origine ivoirienne, était également présente au côté de la famille pour s’occuper, tout au long de la marche, de la cagnotte qui servira au rapatriement du corps de Yusufa. « Je n’ai pas les mots. Je suis vraiment révoltée ! Je travaille dans une station d’essence et j’avais l’habitude de croiser Yusufa, sans vraiment le connaître. C’est inadmissible ce qu’il lui est arrivé. Yusufa était un simple être humain ! » s’exclame-t-elle.

Une famille stéphanoise dépose de l’argent dans la cagnotte tenu par Nina, vêtue d’un gilet orange.

Un émoi ressenti au-delà de Saint-Etienne

Du quartier de la Métare jusqu’à la place de l’Hôtel de Ville, le cortège a scandé en cœur : « Plus jamais ça ! Justice pour Yusufa ! » Au rythme du tambourin, les manifestants marchent d’un pas décidé, main dans la main. Plusieurs d’entre eux sont venus des quatre coins de la France à l’instar de Cesario, 26 ans, venu de Lyon spécialement pour la marche. « C’est un frère noir qui a été tué. Aujourd’hui, c’est Yusufa, mais demain ça peut être moi, ça peut être n’importe qui. Je pense que la communauté noire de France doit s’unir, se souder et s’entraider pour combattre le racisme », clame le jeune homme dans la foule.

La tête du cortège avec le poing levé symbolisant la solidarité et la lutte pour la justice.

Même si le caractère raciste du crime n’a pas été retenu par le Parquet (trois suspects d’origine arménienne ont été écroués) beaucoup sont d’avis que Yusufa a été tué en raison de sa couleur de peau, notamment après que la vidéo choquante de son assassinat a fait le tour des réseaux sociaux. Les riverains qui ont filmé la scène expliquent que des insultes à caractère raciste ont été proférées.

C’est la raison pour laquelle « la communauté noire s’est sentie touchée en plein cœur », explique Hassane, l’un des participants à la marche. Une communauté qui a appelé à l’apaisement et au vivre-ensemble malgré l’indignation et la colère face au drame.

Des soutiens associatifs, judiciaires et administratifs pour prêter main forte à la famille de Yusufa

Laetitia Barlaud, la compagne de Yusufa, a pu compter sur plusieurs personnes pour l’aider à traverser l’épreuve que représente la perte de son conjoint. Des collectifs comme le JIAS (Journées de l’Initiative Africaine de Saint-Étienne) ou encore la LDNA (Ligue de défense noire africaine) ont participé à la marche. Le maire de la ville, Gael Perdriau (LR) était également présent devant le 7b rue Colette pour « témoigner de [sa] solidarité », comme il a pu le confier aux confrères du Progrès. Il s’est entretenu avec la famille du jeune Sénégalo-Gambien le jeudi précédant la marche.

Le genou à terre et le poing levé, les manifestants crie le nom de Yusufa après avoir observé une minute de silence.

Anta, une amie de Laetitia, s’assure que les formalités à l’instar du rapatriement du corps de Yusufa se font dans les meilleures conditions. Pendant la marche, elle sèche les larmes de son amie tout en gérant le bon déroulement de la marche.

Sur le plan judiciaire, Laetitia est défendue par Olivia Betoe Bi Evie. « Le but est que Laetitia se constitue partie civile, puisqu’en tant que victime, le bébé qu’elle a eu avec Yusufa, n’aura plus de père », avance l’avocate. Elle explique que le couple avait porté plainte plusieurs fois pour des agressions racistes avant le drame. « Nous allons donc faire le maximum pour que le caractère raciste soit pris en compte. Nous allons saisir le Parquet et le juge d’instruction en charge de l’affaire pour savoir exactement ce qu’il en est. Ce qui est sûr, c’est que la vidéo va permettre de déterminer les responsabilités des uns et des autres. »

Rencontre entre Laetitia Barlaud et Gaël Perdriau, maire de Saint-Etienne, accompagnés de Anta Souaré à gauche et à droite Ebrima Ousman Camara, ambassadeur de la Gambie en France.

Le consulat du Sénégal, dont Yusufa avait la nationalité, épaule également la famille au niveau administratif. Le diplomate Sambou Mangane, du consulat sénégalais basé à Lyon, affirme que celui-ci travaille en collaboration avec les autorités françaises « pour que l’affaire soit tirée au clair. »

A la fin de la marche, ponctuée par des minutes de silence, c’est une Laetitia profondément endeuillée, le visage marqué par la douleur et la fatigue, qui s’exprime faiblement devant la foule amassée sur la place de l’Hôtel de ville : « Je vous remercie tous d’être venus, de m’avoir soutenue. Merci à tout le monde d’être là pour Yusufa. »

Le Bondy Blog