« Viande de brousse, pangolins, chauves-souris, primates, poissons, reptiles, mygales, insectes… », des dizaines de tonnes d’aliments exotiques arrivent dans les aéroports français chaque semaine (Màj vidéo)

A l’aéroport parisien de Roissy-Charles-de-Gaulle, les douaniers saisissent chaque semaine des tonnes de viande de brousse. Face à cet afflux massif, les douanes françaises se disent “dépassées”.

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Le poisson grouille d’asticots. L’inspecteur des douanes Pascal Huet, gants de caoutchouc et masque chirurgical de rigueur, le déballe sans s’émouvoir. C’est pourtant un drôle de « buffet » qui s’étale devant ses yeux à même pas 7 heures du matin, ce mercredi, dans le terminal 2 de l’aéroport de Roissy. La voyageuse en provenance de Bamako (Mali) qui vient de se faire pincer ne décroche pas un mot, derrière ses deux bagages. Le premier contient bien des vêtements ; le second, pas du tout…

Derrière le poste de contrôle sont entassées les saisies de la veille : viande, boudins, végétaux et un petit carton enrubanné de scotch. « Un singe, sanguinolent. Je vous assure que quand on découvre aux rayons X ce qui ressemble à une petite forme humaine, on a un coup au cœur », rapporte Adrien Clopier, l’adjoint au chef de brigade du terminal 2. C’est ici que sont interceptées environ 30 tonnes par semaine. La partie émergée de l’iceberg, « peut être 8 % », selon les hommes de terrain

On peut être conciliant mais pas dans des conditions sanitaires comme celle-ci », pointe le douanier. Avec ses collègues en noir, ils traquent la « viande de brousse » dans les bagages suspects. Une mission essentielle pour éviter les risques de maladies mais aussi préserver la biodiversité, particulièrement les espèces protégées. Mais pas toujours facile de détecter ces carcasses ou préparations, dont l’état de décomposition varie, mais dont le « flux » est incessant.

Au terminal T2, les douanes inspectent les bagages des voyageurs arrivant en France. Viandes, boudins, végétaux… environ 30 tonnes sont saisies par semaine. La partie émergée de l’iceberg, selon les hommes de terrain.

Emmanuel Bizeray, chef des douanes depuis onze ans et fonctionnaire pourtant tenu au devoir de réserve, ne fait pas dans la dentelle : « Avec ce qu’on voit tous les jours, on se dit qu’on est foutus : des pangolins toutes les semaines, des chauves-souris, et des primates aussi. Bref, des animaux qui peuvent transmettre des maladies à l’homme, comme le coronavirus, Ebola… On n’a rien retenu du Covid ! »

Celui qui se dit mangeur de grenouilles ne met pas en cause les cultures des arrivants mais appelle à agir. Et vite. Cet été, les douaniers ont utilisé leur droit de retrait, affolés par les risques que ces cargaisons de viande de brousse leur font courir.

Limiter à un seul bagage ?

Maud Lelièvre, la patronne française de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui a invité la secrétaire d’État à la biodiversité, Bérangère Couillard, et plusieurs parlementaires à venir constater sur place l’ampleur du problème, avance une première solution : « Il faut une mesure plus restrictive sur les kilos transportés (son ONG milite pour 23 kg maximum) et empêcher les compagnies de permettre un second bagage gratuit. »

Les politiques commerciales en provenance de beaucoup de villes africaines permettent en effet d’embarquer des kilos et des kilos en soute. Souvent, un premier bagage contient bien les affaires, mais un second a été « confié », explique le patron de la douane du T2. Car l’import-export de viande de brousse relève plus souvent de la filière organisée que du plat concocté par la grand-mère.

Si l’on restreint les politiques de bagages à destination de la France, les flux iront dans d’autres aéroports européens, ça revient à déplacer le problème. Il ne faut pas se tromper de levier d’action », répond le directeur RSE d’Air France, Vincent Etchebehere. La compagnie préfère informer les passagers, comme elle fait depuis 2018 avec une vidéo sur les risques, elle commence aussi à former hôtesses et stewards à détecter les colis suspects et prévenir, y compris à l’embarquement.

Une station pour les animaux vivants

Parfois, les animaux atterrissent encore vivants sur le sol français. Et, faute d’installations, mygales, oiseaux, et tortues sont souvent euthanasiés, sauf à Charles-de-Gaulle, qui dispose d’une station animalière depuis mars 2020. Des dizaines d’animaux sont ainsi passées par ces « urgences » tenue par le vétérinaire Bruno Pélissier, aux yeux bleu transparent. « Le défi est d’avoir une installation qui convienne aux poissons d’eau de mer, d’eau douce, aux reptiles comme aux petits félins » explique-t-il dans les tout petits locaux situés au milieu de la zone de fret. Parmi les hôtes réguliers des lieux, il y a des mygales et des reptiles, des oiseaux de Guyane. Il y a six mois, 400 fourmis thaïlandaises ont été saisies, capables de jeter de l’acide !

Maud Lelièvre salue cette station vétérinaire, et veut aussi convaincre d’autres aéroports comme ceux de Marseille ou de Nice. Pour bloquer ce trafic, beaucoup plus important qu’il n’y paraît, l’ONG plaide aussi pour renforcer les dispositifs légaux et réglementaires pour que les voyageurs soient conscients des risques et punis à hauteur de l’enjeu, comme les « mules » dans les transports de drogue.

Depuis le tarmac, la secrétaire d’État Bérangère Couillard a annoncé ce mercredi la création d’un groupe de travail dédié pour trouver des « mesures concrètes et rapides ». La concertation va durer quelques mois, mais « doit être lancée très rapidement ».

Le Parisien